Chapitre 17 – Un cavalier mystère
17 décembre 2023Chapitre 19 – Une promesse inavouée
19 décembre 2023Pourquoi le magicien semblait-il tellement énervé alors que c’est lui qui l’avait abandonnée comme une vieille chaussette, la laissant seule dans une ville inconnue sans solution pour sa quête ?
Elle attrapa un toast et croqua dedans avec fureur. Si quelqu’un devait s’énerver, c’était elle.
— Tu as décidé de m’ignorer de nouveau ? lança Aelius d’un ton froid.
Elara se pinça les lèvres. Elle ne pouvait décemment pas avoir cette conversation devant le buffet, les convives la prendraient pour une folle. Elle s’élança en direction d’une roseraie. Est-ce que le magicien la suivait ? Elle n’en savait rien et pour l’instant, elle avait surtout envie de l’envoyer promener. Elle pouvait comprendre qu’il ait été choqué et blessé de leur entrevue avec le roi, mais ça n’excusait pas son attitude hautaine et frigide de ce soir. C’était un autre genre de retrouvailles qu’elle avait espéré.
— Tu vas à la recherche du prince avec qui tu t’es donnée en spectacle ?
Le sang d’Elara se gela. Elle venait de danser avec le prince ? Elle manqua de s’étrangler.
— Ah, bien sûr, ricana Aelius avec sarcasme. Il ne t’a pas dit qui il était. Il n’en avait pas besoin, tu le dévorais des yeux.
Le sang d’Elara vira de la glace à la lave et afflua dans ses joues. Comment osait-il insinuer qu’elle avait été séduite par ce cavalier alors qu’elle avait passé la soirée à l’attendre ? Ses mains se mirent à trembler et elle se retourna pour faire face au magicien quelques mètres plus loin.
— Contrairement à toi, s’énerva-t-elle. Il y a encore des hommes qui se comportent décemment dans cette ville.
L’air se chargeait en électricité autour d’eux. Les poils de ses bras se levèrent.
— Ce n’est pas lui qui m’a laissé tomber dans une cité que je ne connaissais pas ! Excuse-moi d’avoir essayé de me débrouiller seule, oh grand magicien.
Après tout, s’il ne désirait pas qu’elle danse avec un autre que lui, il n’avait qu’à être présent. Contrairement à lui, elle voulait toujours sauver sa famille. Son regard croisa celui d’Aelius qui s’adoucit lorsqu’il aperçut les étincelles de colère dans les yeux de la jeune femme. Sa bouche s’entrouvrait pour parler quand une voix retentit derrière la sorcière.
— Elara !
Elle se retourna pour découvrir sa patiente de la veille au milieu du chemin bordé de rosiers jaunes. Son attitude contrastait avec hier, la femme malade, déprimée, avait laissé sa place à une personne pleine de vigueur et d’assurance. Sa façon de marcher, ses vêtements, tout chez elle respirait la noblesse. Elle s’avança vers Elara et l’entoura de ses bras pour la serrer contre elle sous l’air hébété du magicien.
— Je ne sais pas comment tu as fait, mais depuis que je t’ai rencontré, je me sens mieux. Mes maux, ceux de mon cœur et ceux de mon corps se sont adoucis. Je te dois tellement.
Elle tira Elara par le coude pour l’emmener dans la direction opposée, vers la grande table que le prince lui avait désignée comme celle de la royauté. Elara paniqua, elle n’était pas prête à revoir le roi.
— Attendez, je ne peux pas aller là-bas ! s’écria-t-elle. Je crois que le roi ne m’aime pas trop.
— Voyons, je suis la marraine de ce garçon, il n’osera pas renvoyer une de mes invitées. D’ailleurs, je suis contente que tu aies apprécié mon cadeau. Cette robe te va à ravir.
À mon avis, le prince pourrait craquer pour toi, tu es tout à fait son genre.
Les yeux d’Elara s’écarquillèrent, les morceaux du puzzle se mettaient en place.
— SB ? C’est vous ?
Elle lança un regard à Aelius qui se décomposait à côté d’elle.
— Sibylle Blancherive. Appelle-moi Sibylle.
— Alors vous êtes…
— Ma mère, soupira Aelius.
Et maintenant qu’il le disait, Elara voyait leur ressemblance, les mêmes yeux d’acier et le même visage aux traits fins. Elle retrouvait chez la mère cette posture confiante qu’arborait continuellement le magicien.
— Je…, bégaya Elara, j’ai rencontré votre fils.
Elle s’était promis de ne pas cacher la vérité à la mère du magicien. Au fond d’elle, elle était persuadée qu’elle pourrait les aider. Aelius la fusilla en l’intimant de se taire alors que Sibylle venait de lâcher sa main de surprise.
— Que dis-tu ?
— J’ai rencontré votre fils dans ma forêt, continua Elara. Il est piégé dans une stèle, mais il est vivant.
Le regard de Sibylle s’alluma, porté par l’espoir de retrouver son fils. La famille qu’elle n’avait pu sauver.
— Je suis certain que c’est le dernier de ses problèmes, marmonna Aelius.
— Il est vivant ?
Elara secoua la tête d’approbation. Sibylle s’effondra au sol, tremblante, sous les yeux médusés de son fils. Des larmes perlaient au bord de ses yeux. Elara se précipita pour l’aider à se redresser.
— Est-ce qu’on peut le sauver ?
— J’espère, souffla Elara en fixant le magicien.
Elle releva la vieille dame et l’emmena jusqu’à un banc. Elle semblait perturbée par les révélations d’Elara. La jeune femme se pinça les lèvres, elle aurait dû prendre des précautions avant de faire une annonce d’une telle ampleur à Sibylle. Les personnes âgées sont fragiles.
— Je vais vous chercher un peu d’eau.
Elara s’élançait vers le buffet.
— Attends.
La voix suppliante d’Aelius l’arrêta.
— Est-ce que tu peux m’aider ? demanda-t-il. S’il te plait.
Il tendit la main, patientant le temps qu’Elara se décide. Voulait-il apparaitre devant sa mère ? Avait-il conscience du choc que ça risquait de lui faire ? Elle retourna auprès de Sibylle et se pencha à sa hauteur.
— Est-ce que vous souhaitez lui parler ?
— C’est possible ? hoqueta la vieille femme.
— Oui.
Elara se releva, se dirigea aux côtés du magicien et entrelaça ses doigts avec les siens. Des fourmillements la parcoururent et il se matérialisa. Sibylle poussa un cri de surprise, les larmes ravageaient ses joues.
— Aelius… sanglota-t- elle.
Elle s’approcha de son fils et entoura son visage de ses mains ridées, usées par le temps.
— Mon fils, je suis désolée, pardonne-moi.
— Mère…
— J’ai supplié ton père de partir à ta recherche. Je sentais au fond de moi que tu étais vivant, mais il ne m’a jamais écouté. Elle essaya de continuer quand sa voix s’étouffa dans un sanglot.
— On devrait aller s’assoir, chuchota Elara, elle est épuisée, c’est trop d’émotions pour elle.
— Tu as raison, acquiesça Aelius.
— Tu pourrais changer de vêtements avant, réfléchit Elara. Tu commences à attirer les regards.
— Est-ce que tu as mon bâton ? demanda-t-il en levant un sourcil. D’un clin d’œil, Elara souleva le pan de sa jupe et décrocha le bâton du magicien coincé dans son porte-jarretelle.
— Audacieux.
— J’avais du mal à me dire que tu ne reviendrais pas, chuchota-t-elle.
D’un coup de baguette, Aelius transforma ses vêtements en un costume bleu nuit et recouvrit son visage avec un masque argenté qui relevait l’intensité de ses pupilles.
— C’est mieux ?
Parfait même. Mais Elara se garderait bien de lui avouer, elle galérait déjà à calmer les battements de son cœur depuis que la main du magicien réchauffait la sienne. En plus, elle était préoccupée par la stabilité mentale de sa mère. Aelius attrapa Sibylle par le bras. Ensemble, ils s’engouffrèrent dans un carrousel qui n’avait pas encore été pris d’assauts. Assis tous les trois sur le banc, envahis par l’odeur sucrée des roses et la lumière douce des lucioles, Elara sentit la vieille femme s’apaiser. Aelius fit apparaitre des gobelets d’eau ainsi que quelques toasts téléportés du buffet qu’il s’empressa de tendre à sa mère.
Il la couvait du regard, mais Elara sentit son appréhension quand il commença à parler, sa main tremblant dans celle de la jeune femme. Elle resserra ses doigts autour des siens pour lui donner du courage.
— Mère… je ne vous en veux pas, soupira-t-il. Je suis le seul à blâmer pour m’être retrouvé piégé dans cette stèle. Je voulais tellement prouver à père que je pouvais réussir, être un meilleur magicien que lui. Je me suis retrouvé piégé à cause de ma propre ambition.
— Je m’en suis tellement voulu, gémit Sibylle. Pendant toute ton enfance, j’ai passé plus de temps à régler les problèmes à la cour que m’occuper de toi. Et les attentes déraisonnables de ton père, j’aurais dû les stopper. Tu étais un fils parfait Aelius. Il ne s’en est peut-être pas rendu compte, mais moi je le savais et je n’ai rien fait pour te protéger. Tu as le droit de me détester.
Les yeux du magicien se couvrirent de larmes qu’il tenta tant bien que mal de ravaler. Sa voix ne put cacher l’émotion qui le gagnait. Elara espérait que cette conversation apaisait le cœur de magicien.
— Nous avons peut-être une solution avec Elara, expliqua Aelius. Sibylle chassa les larmes qui envahissaient ses yeux.
— Tu pourrais revenir ? demanda-t-elle.
— On a localisé le cristal de Yule, continua Aelius, il pourrait me libérer de la stèle.
Sibylle se tourna, le regard rempli d’attente vers Elara. La sorcière fronça les sourcils en remarquant qu’il n’avait pas dit à sa mère qu’il pourrait retourner à son époque.
— Voilà pourquoi tu souhaites te rendre aux catacombes, susurra Sibylle.
— Oui, acquiesça la jeune femme. Nous pensons qu’il s’y trouve. Il pourra nous aider à sauver mon village ainsi qu’Aelius.
— Voilà pourquoi ton père était obsédé par cet endroit jusqu’à la fin de sa vie. Il a même fait promettre à Paul de ne jamais ouvrir les portes !
Les traits de Sibylle se raffermirent et elle se leva avec détermination, les poings serrés.
— Je vais vous obtenir un moyen d’entrer, affirma-t-elle. Quoiqu’il en coute.
Elle s’élança avec toute la vigueur qui lui restait en direction de la table royale, mais se retourna une dernière fois pour observer son fils.
— J’espère bien que tu ne vas pas laisser une aussi belle femme sur un banc pendant un bal. Ce n’est pas ainsi que je t’ai élevé.