Chapitre 5 – Malédiction
5 décembre 2023Chapitre 7 – Le magicien royal
7 décembre 2023Elara se laissa ramener à la ferme familiale.
Comment accepter ce qui venait de se passer devant ses yeux ? Qu’était-ce donc que cette ombre ? Pourquoi était-elle la seule à l’avoir vue ?
Machinalement, elle tira sur sa robe en essayant de reprendre sa contenance. Mia, à ses côtés depuis qu’elle avait retrouvé son père, serrait sa main dans la sienne. La présence de ses amis dans le cortège l’empêchait de sombrer.
— Ça va aller, chuchota Mia, on va trouver une solution.
Une solution ? Elara se mua dans le silence. Il n’existait aucun remède d’autant qu’elle avait donné sa dernière potion à Hildegarde. Elle retournait la situation dans tous les sens, incapable de trouver un moyen de sauver son père de cet enfer.
Il marchait devant elle, l’air affable et désabusé, ne daignant répondre aux sollicitations des anciens du village. À aucun moment, il ne s’était retourné pour s’enquérir de l’état de sa fille. Son dos paraissait immense à Elara. Ce même dos qui l’avait portée dans son enfance semblait avoir perdu toute sa douceur.
Les rayons du soleil éclairaient maintenant la vallée et picotaient les yeux d’Elara, épuisés par la fatigue et les larmes. Elle s’enroula un peu plus dans son châle pour se protéger du froid qui s’insinuait dans ses vêtements humides. Ils passèrent devant les habitants restés au village qui attendaient angoissés devant leurs maisons. L’ambiance mortifère du cortège ne laissait aucun doute quant à l’issue des recherches. Quelque chose de terrible s’était produit. Certains vinrent à la rencontre d’Elara pour la prendre dans leurs bras ou encore lui caresser le dos. Ces touches de bienveillance allégeaient pendant quelques instants son fardeau. Bientôt, ils arrivèrent devant la ferme. Sa famille l’attendait sous le banc au pied de l’érable. L’ancienne du village s’écarta et laissa la mère d’Elara découvrir son mari. La joie des retrouvailles s’évanouit rapidement. Chancelante, les mains tremblantes, elle s’avança vers celui qui partageait sa vie depuis tellement d’années.
— Oh Charles ! Pourquoi es-tu allé dans la forêt ? demanda-t-elle d’une voix faible.
— Pour chercher du bois, pardi ! Vous n’êtes vraiment pas futés aujourd’hui.
Son ton, sans saveur, heurta Paula. Elle lui attrapa la main.
— Viens ! Rentre à la maison, je vais te préparer une boisson chaude.
Il se retira d’un mouvement sec.
— Je peux me débrouiller. N’as-tu rien d’autre à faire ?
Charles planta là sa femme qui le regarda s’éloigner l’air abattu.
Elara s’approcha de sa mère, le cœur serré. Après un échange de regard, les bras de Paula s’ouvrirent pour accueillir sa fille. Elara se laissa envahir par la chaleur de son étreinte ainsi que son parfum sucré. Rejointe par sa sœur, le visage déformé par les larmes, elle s’abandonna à sa tristesse. Les trois femmes pourraient compter l’une sur l’autre. Elles resteraient soudées, c’était la devise de la famille.
— Je suis désolée, maman. Je n’ai rien pu faire, sanglota-t-elle.
Sa mère lui tapota le dos, comme elle le faisait pour ses chagrins d’enfant autrefois.
— Tu n’y peux rien, ma chérie. Ton père avait conscience des risques. On ne peut en vouloir à personne.
Paula s’écarta, un sourire triste sur le visage.
— On pourra le retrouver de temps en temps, grâce à tes potions.
Les traits d’Elara se crispèrent. Ses potions ? Les fleurs étaient rares, elle en trouvait tellement peu. Et comment allait-elle justifier de ne plus en donner à Hildegarde?
Avait-elle le droit de choisir qui pourrait en profiter ?
Doc sortait de la maison et son regard croisa le sien.
Était-il resté avec sa famille pendant les recherches ?
Il devait avoir rencontré Charles à l’intérieur, car les traits de son visage étaient plus durs encore qu’à l’accoutumée.
Avait-il compris le désarroi de la jeune femme face au dilemme qui se présentait à elle ?
Il l’appela d’une voix grave.
— Elara, j’ai besoin de toi, peux-tu venir ?
Sa mère et sa sœur la poussèrent à le rejoindre. Elles furent vite entourées, et cajolées.
— Vas-y ! On s’occupe d’elles, affirma Mia.
Ses amis toujours à ses côtés secouaient la tête pour la calmer. Même Finnigan qui adorait râler affichait un sourire rassurant. Elle avait tellement de chance de les avoir auprès d’elle.
Elle fronça des sourcils en s’apercevant que Camille avait disparu. De quel droit l’avait-il empêché d’aider son père ?
Elle serra les poings, sa colère enflait, elle aurait une discussion avec lui.
— Elara ! insista Doc.
— J’arrive.
Elle slaloma entre les habitants encore présents pour retrouver le médecin. Il lui fit signe d’aller s’installer d’un grognement. Forcée par le vieil homme, elle s’assit sur la chaise en rotin de la cuisine familiale. Sa grosse sacoche en cuir posée sur la table, il fouilla à l’intérieur en bougonnant.
— On ne peut pas dire que cette fête ait été réussie cette année.
— Doc ! s’indigna Elara.
Il sortit une petite fiole remplie d’un liquide bleu clair qu’Elara connaissait bien. Il s’agissait de sa potion de relaxation ; la plus demandée, celle qui soulageait les insomnies.
— Pourquoi ?
— Tu vas la prendre, ordonna Doc, en posant la fiole devant elle.
— Non ! réclama-t-elle. J’ai d’autres choses à faire ! Je dois m’occuper de ma famille.
— Tu as vu dans quel état tu es.
Il la jaugea de ses yeux sévères.
— Tu ne pourras rien faire de plus ! Aie confiance en nous. Nous allons prendre le relais. Tu sais que les villageois seront là pour vous. En revanche, toi !? Tu es glacée et épuisée. Si tu ne vas pas te reposer, tu risques de prendre de mauvaises décisions.
— Mais…
— Pas de « mais », de toute façon tu ne peux rien faire de plus !
Un frisson parcourut Elara.
— Tu vois ! Tu es en hypothermie ! Bois cette fiole et va te mettre au chaud. Personne ne t’en voudra.
Elara fixait la petite fiole. L’esprit embrumé, le poids dans sa poitrine continuait de s’alourdir. Sans réfléchir, elle l’attrapa, fit sauter le bouchon en liège qui la fermait et la but d’un coup sec. Elle espérait faire taire les angoisses qui montaient en elle depuis qu’elle avait retrouvé son père. La jeune femme se leva, prise d’étourdissements.
Doc attrapa son bras pour l’aider, mais elle le repoussa. Elle monta les marches de l’escalier en colimaçon pour rejoindre sa chambre à l’étage. Devant ses yeux défilèrent les cadres photo retraçant la vie paisible de la famille depuis le mariage de ses parents. Elara se pinça les lèvres pour se retenir de pleurer et accéléra le pas.
Son lit l’attendait au milieu de la pièce. Sans prendre la peine d’enlever ses vêtements, elle s’engouffra à l’intérieur des couettes matelassées. Recroquevillée, elle n’eut pas le temps de compter jusqu’à dix que déjà elle sombrait dans un sommeil profond.
Plongée dans le noir, une sphère dorée s’approchait d’elle. Elle lui tournait autour, voltigeait, mais ne la touchait pas.
— Que veux-tu ?? ?
La boule s’envola et fonça droit devant elle, dans un endroit qu’Elara connaissait par cœur… La forêt.
Elle se réveilla en sueur, des gouttes perlaient sur son front. Elle sortit frissonnante des draps de son lit détrempés. Ce n’était pas la première fois qu’elle rêvait de cette boule. Elle se leva, sa chambre était plongée dans le noir. Combien de temps avait-elle dormi ? Par la fenêtre, la lueur de la lune haute dans le ciel, éclairait le village, mais aucun son ne venait troubler la paix nocturne. Un hululement résonna au loin et une brise légère caressa la peau d’Elara. Aucun bruit ne provenait non plus de l’intérieur de la maison.
Elara se déplaça sur la pointe des pieds en direction de son armoire. Elle gardait toujours deux ou trois vêtements de rechange ici, dans le cas où elle ne pourrait pas rentrer dans son chalet le soir. Elle dénicha une jupe en laine noire puis enfila un pull vert tricoté en laine épaisse.
Bien habillée, elle se réinstalla sur le bord de son lit. Les images de son rêve lui revenaient sans cesse, comme si l’on voulait lui faire passer un message. Elle se mordit les lèvres. Elle devait se rendre dans la forêt. Elle ne s’expliquait pas ce besoin impérieux, mais elle sentait qu’elle pourrait y trouver de l’aide.
Et si elle ne revenait pas ? Qu’est-ce que diraient sa mère et sa sœur si elle se mettait en danger ? Si elle y allait en secret ? Elle rentrerait avant le lever du soleil, ainsi personne n’en saurait rien. Elle irait juste jeter un coup d’œil.
Elle sortit de sa chambre le plus discrètement possible en évitant les planches grinçantes du parquet… Le salon et la cuisine étaient déserts, Doc avait dû retourner chez lui en pensant tout le monde assoupi et en sécurité.
Elle attrapa une bougie à la flamme vacillante pour allumer une lanterne. Elara contournerait le village pour se rendre dans la forêt, elle ne prendrait pas le risque de se faire repérer. Elle saisit la cape de son père et en monta la capuche. Ainsi emmitouflée, elle marcherait inaperçue.
À travers les champs elle emprunta un chemin boueux. Sur son passage, des lapins gambadant au clair de lune frôlèrent ses jambes. Elle s’approchait de la forêt quand un point lumineux au milieu des arbres attira son regard. Plus elle s’avançait, plus elle avait l’impression que la lumière sautait d’arbre en arbre. Elle se retrouva à l’orée du bois. Maintenant qu’elle devait entrer, elle n’était plus certaine de faire le bon choix. Ne se mettait-elle pas en danger ? Si elle disparaissait, personne ne pourrait fabriquer de potions à son père et à Gilfried.
Elle se retournait pour rejoindre son chalet quand un cri strident lui glaça le sang.
Suspendu de ses longs doigts dans les branches de l’arbre en face d’elle, un animal brillait et l’observait. Ses grands yeux réfléchissaient la lumière de la lune. Il cria une nouvelle fois à destination d’Elara et sauta d’arbre en arbre pour s’enfoncer dans la forêt.
Sans réfléchir, elle se lança à la poursuite de cette étrange bestiole jamais rencontrée auparavant dans la forêt. Dès qu’elle ne l’apercevait plus, il réapparaissait, comme s’il lui montrait le chemin à prendre, comme s’il l’attendait.
Elara s’enfonça tête baissée sur des sentiers encore inexplorés.
À l’orée d’une clairière, il sauta au sol et courut en direction d’une imposante stèle en pierre noire. Il s’installa dessus, regarda fixement la jeune femme et cria. Son hurlement fit s’envoler les oiseaux des arbres alentour. Elara s’approcha doucement, attirée par le monument. L’animal tendit sa patte, comme pour inviter la jeune femme à le toucher. Ses yeux dorés brillaient autant que son pelage, Elara sentait qu’il souhaitait lui passer un message. Elle étira son bras, entra en contact avec la petite créature quand un éclair l’aveugla. L’animal se volatilisa alors que la stèle se mit à briller intensément d’une lueur dorée. Elara recula, affolée.
Elle s’attendait à ce qu’elle bouge ou que l’animal réapparaisse, mais rien ne se produisit, la stèle s’éteignit aussi vite qu’elle s’était allumée.
Elara s’approcha pour observer les gravures qui ornaient la pierre. Sa présence ici devait avoir une raison.
— Que fais-tu ici ?
Elara se figea. Une voix d’homme résonnait derrière son dos.