Chapitre 4 – La fête des fleurs séchées
4 décembre 2023Chapitre 6 – Escapade en forêt
6 décembre 2023Elara courait sans s’arrêter. Les battements de son cœur retentissaient à une vitesse folle dans son crâne. Ses pas résonnaient dans les ruelles désertes du village quand elle entendit ses amis, à sa suite, l’appeler.
— Ela’ prend au moins une lanterne, hurla Caden.
— Cherchez-en pour vous, cria Elara, j’ai ce qu’il faut dans mon chalet.
Essoufflée, elle se garda de répondre aux autres questions et poursuivit sa route sans se retourner. La lumière de la lune éclaira ce chemin qu’elle connaissait par cœur.
Derrière elle, les habitants affolés rompirent le calme de la nuit. Paniquée, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire. Elle aperçut l’ombre de son chalet, se rua à l’intérieur pour attraper sa lanterne en fer noir qui reposait derrière la porte. Elle fouilla dans son buffet à l’entrée pour récupérer de quoi l’enflammer. Dans la précipitation, des fioles s’écrasèrent au sol, l’odeur fleurie de ses préparations se répandit dans l’air. Elle nettoierait plus tard.
— Bon sang ! Où est-ce que j’ai mis les allume-feux !
Dans la pénombre, Elara tâtait le tiroir, mais ne trouvait rien. Chaque minute comptait, elle sentait ses larmes monter quand une lueur s’approcha de son chalet.
Camille entra avec une des torches de la réserve d’urgence du village dans les mains.
— J’apporte la lumière.
Il la tendit à Elara. Elle essuya ses pleurs d’un revers de main et alluma sa lanterne.
— Merci.
Elle la lui rendit sans attendre puis s’élança en direction de la forêt.
— Papa ! s’époumona-t-elle. Papa !
Les sapins d’ordinaire accueillants terrorisaient Elara. Le passage du vent dans les branches décharnées ressemblait à des hurlements cauchemardesques. Elara observait l’intérieur, mais la barrière de végétation semblait avoir englouti les deux hommes disparus. Camille la rattrapa et lui posa un châle sur les épaules. Sans un mot supplémentaire, il se mit aussi à crier.
Elara continua à longer la fine délimitation en secouant sa lanterne. Elle appelait son père corps et âme comme les habitants du village mobilisés pour l’aider dans ses recherches. Leurs voix résonnèrent dans la vallée.
Pourquoi personne ne répondait ? Où avaient-ils pu passer ? Ces foutues liqueurs ! Elara balancerait tout à la poubelle à son retour ! Au bout d’une vingtaine de minutes, elle décida qu’elle ne resterait pas les bras croisés à attendre. Elle s’avança en direction des bosquets pour entrer dans le bois quand une main puissante attrapa son poignet et la tira en arrière.
— Où vas-tu ?
Camille, l’air angoissé, ne la lâchait pas.
— Laisse-moi ! tu vois bien que ça ne sert à rien !
Elara tenta de se libérer en secouant son bras et en le repoussant.
— Non.
Les doigts du jeune homme se resserrèrent autour de leur prise.
— Camille, supplia-t-elle, je connais la forêt mieux que personne, si quelqu’un peut les retrouver, c’est moi.
Elle croisa ses yeux inquiets. Ce n’était pas le moment pour qu’il joue au preux chevalier.
— On passe un deal ?
— Hein ?
— Tu n’es clairement pas en état de décider, continua-t-il. Je te propose que l’on appelle jusqu’au lever du soleil et si d’ici là ils ne sont pas revenus, on en reparle. Il ne voudrait pas que tu te mettes en danger, tu le sais aussi bien que moi.
Elara voulait rétorquer, négocier, mais elle le connaissait bien. Il ne la laisserait jamais traverser et au fond d’elle, elle savait qu’il avait raison. Son père faisait de la sécurité de ses filles, sa priorité.
— D’accord, accepta-t-elle.
Elle espérait lui fausser compagnie et échapper à sa surveillance, mais il ne la lâcha pas d’une semelle, lui remémorant sans cesse leur marché. Les villageois se relayaient pour hurler et éclairer l’orée de la forêt, mais les heures défilaient sans nouvelles des disparus.
Les premiers rayons du soleil ne tarderaient pas à poindre, le ciel s’éclaircissait déjà. Elara allait se retourner vers Camille, toujours sur ses talons quand le cri d’une villageoise retentit.
— Ils sont là !
Elara arrêta de respirer. Ils étaient de retour ? Dans quel état ? Elle rejoignit la foule, fébrile, joua des coudes pour se mettre devant.
— Papa ? cria-t-elle.
Elle s’avança au maximum et aperçut sur le chemin forestier la silhouette de deux personnes. Elle reconnut celle de son père.
— Je suis là, ma petite fée, hurla-t-il.
— Papa !
Les deux hommes se suivaient et aucun ne semblait blessé.
Elara poussa un soupir de soulagement. Plus ils s’approchaient, plus le poids de son cœur s’allégeait.
Ils allaient bien ! Avait-elle dramatisé les choses ? Pourtant, ça ne lui ressemblait pas, de perdre son sang-froid. Elle avait eu tellement peur. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres d’elle quand la voix de son père parvint distinctement à ses oreilles.
— Notre lanterne s’est éteinte ! On ne trouvait plus notre chemin ! Heureusement, on vous a entendu ! On a marché toute la nuit.
Encore quelques pas et ils seraient en sécurité. L’allégresse des retrouvailles gagna les habitants rassemblés autour d’Elara. Joseph arrivait au niveau des bosquets qui délimitaient l’entrée du bois, mais son père s’arrêta. Elara plissa des yeux, un mouvement dans la forêt attira son regard. Une longue trainée sombre courrait sur le sol, slalomant entre les arbres.
— Mais qu’est-ce que c’est ?
— De quoi tu parles ? lui répondit Camille, toujours derrière elle.
— Cette trace, là ! Tu ne la vois pas ? insista-t-elle en le pointant du doigt.
Le jeune homme secoua la tête d’un air soucieux.
Est-ce qu’elle avait des hallucinations ? Pourtant ça se rapprochait à une vitesse folle de son père. Les battements du cœur d’Elara s’accélérèrent et les paumes de ses mains devinrent moites. Une désagréable sensation s’infiltra dans tous son être.
— Papa ! Bouge !
Mais son père semblait figé, comme hypnotisé. L’ombre gagna ses chaussures. Elara se précipita pour aller le chercher, mais les bras de Camille l’emprisonnèrent avant qu’elle n’eût posé un pied dans le sous-bois.
— Lâche-moi ! Il est en danger.
Il la plaqua contre son torse. Elle se débattait de toutes ses forces, lui donnait des coups de pied, mais il ne bougeait pas d’un millimètre.
— Il ne voudrait pas que tu le sois aussi, grogna-t-il.
Le halo noir se propagea jusqu’au cœur de son père ou il s’accumula pour former une boule de ténèbres. Personne d’autre qu’elle ne semblait la voir et comprendre son agitation.
Elara cria à son père de s’enfuir, mais rien n’empêcha les ténèbres de continuer à progresser jusqu’à la poitrine de son père. Elle grossit, grossit puis se volatilisa dans les airs en emportant avec elle la lumière qui rayonnait dans le cœur de celui qui l’avait élevé.
Les yeux de son père se posèrent sur elle. Elle n’y lisait plus la fierté, l’amour et la joie qu’elle y trouvait habituellement. Ses yeux verts identiques à ceux de sa fille demeuraient froids, dépourvus de vie. Elara venait d’être témoin de la malédiction. Celle-ci avait touché une des personnes qui comptait le plus pour elle. Son père venait de perdre sa capacité à ressentir la moindre émotion, il ne serait plus jamais le même.
Elle s’effondra en larme, les bras de Camille la libérèrent alors que son père arrivait devant elle.
— Charles, rassure ta fille, lui-dit Joseph en plaisantant, je crois qu’on lui a fait peur.
Le visage de Joseph se figea quand il croisa le regard de Charles.
— Et ?
Le silence se propagea au milieu des villageois. Les plus anciens s’approchèrent, entourant Elara et son père. Les murmures se propageaient autour d’eux.
— Il a été touché par la malédiction.
— Comment l’as-tu deviné ? chuchota une ancienne qui aidait Elara à se relever.
— Ramenons-le à ta mère.
Les paroles des habitants coulèrent sur Elara, incapable d’émerger de sa tristesse. Une des vieilles l’attrapa par le bras et prit sa tête entre ses mains ridées.
— Tu ne peux pas flancher petite fée, si tu t’effondres qui s’occupera de ta famille ?
Les larmes continuaient à ruisseler sur les joues d’Elara, ses jambes la portaient à peine, mais elle se laissa guider. Elle savait où ils les emmenaient. Comment allait-elle annoncer la nouvelle à sa mère et à sa sœur ?