Concours Initiative en soins pharmaceutiques
16 novembre 2023Chapitre 2 – La ferme Familiale
2 décembre 2023Les portes du petit chalet claquèrent dans le vent et résonnèrent dans la vallée. Elara attrapa une couverture sur son lit pour se protéger de la morsure du froid. L’hiver s’installait.
De la fenêtre de sa chambre, elle observa les arbres imposants de la forêt. Ils se balançaient au rythme des bourrasques, laissant le vent chanter dans leurs branches décharnées. Comme toujours, elle fut irrésistiblement attirée par l’ambiance magique du lieu. Elle n’avait qu’une hâte, profiter de sa dernière cueillette avant l’interdiction, demain soir.
Elle se retourna, les bulles verdâtres de sa potion réconfortante bouillonnaient et jaillissaient de son vieux chaudron. Un sourire lui échappa ; bientôt, des dizaines de personnes se précipiteraient pour obtenir une fiole remplie de la mixture. La fête des fleurs séchées approchait et elle sentait l’émoi des habitants monter depuis plusieurs semaines déjà. Elara chérissait l’idée de leur apporter de la douceur mais savait qu’elle serait éreintée à la fin de la journée.
Alors qu’elle se rapprochait de l’âtre, pour réchauffer ses mains, elle se demanda ce qu’elle récupèrerait dans la forêt. Elle manquait de houx et devait refaire son stock de bruyères, les deux plantes indispensables pour ses recettes hivernales.
Sa potion obtint la teinte parfaite. Elara enfila les maniques confectionnées par sa mère, attrapa le gros chaudron et le posa lourdement sur son plan de travail en bois. Son chalet ne disposait d’aucun espace libre. Les murs étaient percés de bouquets de fleurs séchées, les étagères débordaient de fioles, de pots aux multiples couleurs et textures rendant son habitation chaleureuse.
Elle saisit une louche en cuivre, léguée elle aussi par sa mère, et rempli les petites fioles fraichement lavées.
— Elara ! J’espère que tu es prête ! Tout le village est à ma suite !
Surprise par la voix de la jeune fille blonde qui venait de faire irruption chez elle, Elara laissa tomber la moitié du contenu de sa louche au sol.
— Toujours aussi maladroite ! plaisanta la nouvelle venue.
Son air taquin fit vite oublier à Elara la frustration d’avoir encore renversé des objets.
— Arrête de te moquer, s’indigna Elara.
Ilyana, le sourire espiègle s’approcha de son amie et déposa un baiser sur sa joue.
— Qu’es- tu es venue chercher ? réclama Elara, tout en essayant de rester concentrée sur son ouvrage.
— Tu sais bien ce que je veux …
— Je croyais que « cette tradition ridicule » ne t’intéressait pas.
— Oh ! s’il te plait ! Alfried m’a invité cette année et… je vais lui donner ma couronne.
Elara reposa ses instruments pour fixer son amie.
— Tu es sûre de toi ?
— Oui, j’y ai bien réfléchi…S’il te plait… Elara… je ne te demande jamais rien !
— Très bien …
Elara se tourna en direction de son vieux buffet, ouvrit une des portes grinçantes, attrapa un pot de gelée rose et le déposa délicatement entre les mains de son amie.
— C’est mon dernier ! Je pense que cela sera suffisant pour t’apporter le courage dont tu as besoin.
— Tu es la meilleure !
Ilyana s’agrippa au pot comme s’il s’agissait du plus précieux des trésors. Ses yeux pétillaient de joie et de reconnaissance.
— Je te revaudrai ça.
— Tu pourrais dire à ceux qui arrivent que j’aie été dévalisée ? tenta Elara.
— Personne ne me croirait, pouffa Ilyana.
— Fais attention à toi en rentrant au village.
— Comme toujours !
La jeune femme lui adressa un geste chaleureux de la main avant de s’éloigner.
Elara remplissait la dernière fiole quand des rires retentirent devant sa porte.
— Vous pouvez entrer, lança Elara.
Les nouveaux venus ne se firent pas prier et s’engouffrèrent à l’intérieur du chalet.
— Doucement, doucement, à chacun son tour…temporisa-t-elle.
Elle accueillit avec patience tous ceux venus, comme Ilyana, trouver du courage ou encore chercher à apaiser des petits tracas de la vie. Sa réserve diminuait à vue d’œil et elle se félicitait d’avoir mis quelques pots à l’abri dans son panier pour Doc.
Elara échangeait ses potions contre de la nourriture, des tricots ou encore des objets artisanaux. Il lui arrivait d’en déposer chez ses parents afin de ne pas envahir son chalet déjà bien rempli.
Une fois le dernier client partit, elle se para de vêtements plus chauds ; elle appréhendait la fraicheur extérieure. La pointe des sapins blanchis par le givre et la brume matinale annonçaient l’approche du grand froid. Elle enfila ses mitaines préférées, tricotées avec amour par sa mère.
Chaque année, pour la fête du solstice d’hiver, ses parents lui offraient une nouvelle paire de couleurs ou d’ornements différents. Aujourd’hui, elle choisirait celle en laine dorée pour l’assortir à sa jupe rouge flamboyant. Emmitouflée dans un châle, son panier sous le bras, elle brava l’air frais et se dirigea vers la forêt. Les arbres perdaient leur habillage chaleureux ; les pas d’Elara crissaient sur le tapis de feuilles recouvrant le chemin.
Son regard fut attiré par la fourrure éclatante d’un renard courant dans les fougères.
Au milieu de cette nature immaculée, Elara ne ressentait que plénitude. À chaque sortie , les plantes l’appelaient et à leur contact elle savait exactement comment les utiliser; comme si la nature communiquait avec elle. La jeune femme n’avait toujours aucune explication quant à l’origine de ce don.
Les habitants d’Aubelumière réchauffaient les cœurs et les âmes meurtries, mais jamais personne n’avait montré un tel talent dans la fabrication de potion.
La cueillette du jour s’annonçait fructueuse, Elara remplissait son panier de plantes et d’écorces qui feraient d’excellents cataplasmes pour les blessures de l’hiver. Son regard balayait le sol avec vigilance tandis que l’odeur du sous-bois parvenait à ses narines. Elle cherchait une fleur spéciale, blanche, taillée comme une rose, des boutons dorés sur ses pétales.
La décoction réalisée avec, si particulière, était attendue par une des habitantes du village. Alors, à chacune de ses sorties, elle fouillait avec attention les bosquets.
Le cor retentit dans la vallée annonçant l’heure du repas. Perdue dans ses contemplations, la jeune femme n’avait pas vu le temps passer. Elle lança un ultime regard à la forêt car elle ne mettrait plus un pied ici avant que les rayons du soleil ne réchauffent la neige.
Repassant par son chalet, Elara prit le temps d’accrocher, à l’aide de rubans colorés, ses dernières trouvailles. Puis, elle s’élança en direction du village.
Le médecin de la ville l’attendait, ce vieux ronchon du nom de Gustave était persuadé qu’Elara prendrait sa relève. Chaque proposition du vieil homme se voyait essuyée par un refus de la jeune femme. N’ayant aucune connaissance du corps humain, elle se décourageait par la quantité de livres à retenir par cœur. Non vraiment, elle l’aidait avec les potions, mais ça n’irait pas plus loin.
Une dizaine de minutes lui furent nécessaires pour rejoindre le hameau. Au fond de la vallée se trouvait le village d’Aubelumière, entouré par la forêt et les deux bras de la rivière qui serpentaient jusqu’au lac. Durant le solstice, les chalets en bois des habitants se paraient de leurs plus belles décorations. Elara adorait observer le village la nuit lorsque les habitants allumaient la bougie des lampions accrochés à leurs portiques. Le soir, quand elle rentrait chez elle, les lumières ressemblaient à des lucioles d’espoir qui réchauffaient les cœurs.
L’entrée du village se faisait par un petit pont, généreusement fleuri en été. Les ruelles pavées desservaient les chalets et les potagers partagés du village. Le cabinet de Doc au milieu de la grande place, détonait. La demeure du vieux grincheux était construite tout en ferraille ressemblant à une vieille botte usée ; ce qui lui valait d’incessantes plaintes de son voisinage. Elara frappa la porte en métal rouillé qui s’ouvrit sur le visage ridé et trop sérieux du médecin.
— Elara, c’est toi ? Rentre ! C’est la folie aujourd’hui ! Je les ai tous mis à la porte, toujours à m’embêter pour des broutilles.
Il cessa ses lamentations pour observer la jeune fille.
— Je suppose que tu as aussi été dévalisée ?
Elle acquiesça et tendit son panier tressé à Doc.
— J’ai gardé quelques potions pour le cabinet, je sais qu’ici elles seront en lieu sûr.
Une fois qu’elle fut entrée, il la poussa dans la salle de repos en grimaçant. Il attrapa une tasse verte décorée de cœurs roses, posée sur une étagère métallique, pour la remplir d’un liquide fumant. Malgré son air bourru, il s’occupait des habitants avec dévotion. L’odeur sucrée qui s’échappait de la tasse éveilla l’estomac d’Elara, la rencontre entre le liquide chaud et ses lèvres la contenta. Le chocolat à la cannelle de Doc était un des meilleurs.
— Tu as terminé ta couronne ? demanda le vieil homme.
— Bientôt ! Je vais à la ferme pour la terminer avec maman et Jalina ce soir.
— Tu comptes l’offrir à quelqu’un cette année ?
— Je ne crois pas, répondit Elara, pensive.
— Ce qui fait de toi la candidate idéale pour reprendre le cabinet.
— Doc ! On en a déjà parlé… je n’ai pas tes connaissances.
— Ça s’apprend, maugréa-t-il. Et puis tu as déjà tellement de compétences, si seulement tu arrêtais de te dévaloriser !
Elara posa sa tasse dans l’évier et se hâta en direction de la sortie. Elle ne voulait certainement pas continuer cette conversation, elle l’avait entendu trop de fois.
— Je file, j’ai encore du travail.
— Tu vas chez les Longdoigt ?
— Oui
Il s’approcha de la jeune fille, posa avec douceur sa main sur son épaule.
— Merci, pour ce que tu fais pour eux.
Un sourire triste se déposa sur le visage d’Elara.
— J’aimerais tellement faire plus.
— Sois prudente.
La porte se referma sur l’air soucieux du vieil homme. Elara se rendit chez les Longdoigt.
Monsieur Longdoigt était la dernière victime, encore en vie, de cette terrible malédiction qui avait frappé, il y a bien longtemps, le village d’Aubelumière.