Chapitre 22 – Dilemme
22 décembre 2023Chapitre 24 – Epilogue
24 décembre 2023Après de longues heures dans le traineau à contempler le paysage enneigé, Elara aperçut enfin les chalets en bois de son village. La vue de son environnement familier lui serra le cœur. Leur passage sur le pont attira l’œil des habitants et elle entendit des cris de joie se répandre autour d’elle.
— C’est Elara !
— Elle est de retour !
— Allez chercher Doc.
Elle eut à peine le temps de se débarrasser des couvertures qui s’empilaient sur ses jambes que déjà Jalina lui tombait dans les bras.
— Tu étais où ? On s’est fait un sang d’encre, maman et moi. Est-ce que tu vas bien ?
Sa sœur lui torturait le visage, déformant chaque parcelle pour vérifier qu’aucune égratignure ne s’y trouvait. Les yeux bouffis n’échappèrent pas à son inspection, elle fronça des sourcils et avant que son interrogatoire n’ait commencé, leurs amis se joignaient à elle pour un câlin collectif.
— Laissez-moi respirer un peu, j’étouffe !
— Mais Elara, s’écria Illyana, Caden nous a raconté qu’il t’avait vu disparaitre avec un magicien sorti de nulle part. On était à deux doigts de le suspecter de t’avoir tué et enterré dans les bois.
— Encore un peu et Camille partait en pèlerinage pour te retrouver, rigola Finnigan.
— Est-ce que tu as trouvé le remède ? demanda Caden.
Elara pinça ses lèvres, elle hocha la tête et sentit une larme rouler sur sa joue.
— Oh, Elara, soupira Mia, poussez-vous les limaces collantes, vous ne voyez pas qu’elle est perturbée.
Mia l’attrapa par le bras, et la traina en direction du cabinet de Doc.
— Attendez ! réclama Elara. Est-ce que vous pouvez vous occuper de Filomène et son père ?
— Compte sur moi, répondit Finnigan, je vais leur faire découvrir l’hospitalité d’Aubelumière.
Elara lança un petit regard inquiet à Filomène en pleine discussion passionnée avec un groupe de vieilles personnes intriguées par les rennes. En deux temps, trois mouvements, elle se retrouva installée sur une chaise dans la cuisine de Doc, ses amis suspendus à ses lèvres espérant qu’elle leur raconte son histoire. Elle essaya, mais aucun son ne sortit de sa bouche et ce ne fut que quand sa mère arriva en courant en compagnie du médecin qu’elle se leva et tomba en larmes dans ses bras.
Dans la chaleur et la tendresse de celle qui l’avait élevée, les sanglots d’Elara s’atténuèrent.
— Je ne sais pas quoi faire, Maman, renifla Elara.
— Et si tu commençais par le début de l’histoire ? On découvrira une solution, tous ensemble.
Elara acquiesça, démarra son récit alors qu’on lui fourrait du chocolat chaud entre les mains. Elle expliqua sa première rencontre avec Aelius dans les bois, la proposition du magicien de l’aider à trouver le cristal qui pouvait le sauver lui et les habitants d’Aubelumière. Elle se remémora comment ils s’étaient aperçus qu’au contact de la jeune femme il quittait sa forme spectrale. Caden s’empressa de clamer qu’il avait déjà raconté cette partie, mais que personne n’avait voulu le croire. Elle décela le regard déçu de Camille quand elle parla d’Aelius, du bal et des catacombes. Elle tentait de rester impassible chaque fois qu’elle mentionnait le magicien, mais elle ne trompait personne, tous avaient deviné les sentiments qui l’animaient.
— Il est où cet Aelius, d’ailleurs ? lança Camille, agacé.
— Je.. .
— Laisse-moi résumer, grommela Doc, soit le cristal se brise et la malédiction reviendra sur le continent, Aubelumière comme Colroy seront touchés, mais le magicien sera libéré. Soit tu déverses de la magie dans le pendentif et le cristal se referme en annulant la malédiction, mais condamne le magicien.
Les mains d’Elara se resserrèrent autour de son chocolat chaud et elle sentit les bras d’Illyana lui entourer les épaules.
— C’est un peu sa faute de toute façon non ? lança Camille. S’il n’avait pas cherché le cristal il y a quarante ans, on n’en serait pas là.
Caden envoya un coup de pied dans le tibia de son frère qui se plia en deux de douleur.
— Ça ne va pas la tête ? Je ne fais qu’énoncer la vérité.
— Tu n’es pas objectif, râla Mia.
— Mais il a raison, retentit une voix au fond de la pièce qui fit frissonner Elara.
Elle se retourna si brusquement qu’elle renversa la moitié de son chocolat au sol.
— Aelius, murmura-t-elle. Tu es revenu.
— Il est avec nous ? s’exclama Mia ! Dis-lui de se joindre à nous, cette discussion le concerne. Et l’on ne condamnera personne pour ses actions passées. À plusieurs on va trouver une solution.
— Je t’avais promis d’arrêter de fuir, s’excusa Aelius. Et je revoyais sans cesse tes yeux remplis de larmes. Je ne pouvais pas rester loin de toi.
Elara se leva, subjuguée par les yeux du magicien qui ne la quittait pas. Elle tendit la main pour l’inviter à prendre part à la conversation et quand il accepta le contact avec elle son corps entier s’embrasa. Elle revivait.
Il apparut aux yeux de tous et les amis d’Elara se précipitèrent pour lui souhaiter la bienvenue. Il se retrouva vite envahi par des questions plus indiscrètes les unes que les autres. La jeune femme serra les doigts du magicien de peur qu’il se volatilise de nouveau. Le regard empli de tendresse qu’il lui envoya ne la rassura pas pour autant. Est-ce qu’il avait admis l’idée de vivre son existence enfermée dans une stèle ? Même si elle ne voyait pas d’autre alternative, elle n’acceptait pas cette solution. Ces quelques heures passées à imaginer ne plus jamais le revoir avaient été un calvaire. Non, il y avait un autre moyen, c’était certain.
— Toi qui es magicien royal, demanda Caden, est ce que tu penses à une autre solution ? Elara a raison, on ne peut sacrifier quelqu’un pour le bonheur des autres.
Aelius s’installa sur une des chaises et fit glisser Elara sur ses genoux. Il caressait avec tendresse le haut de son dos.
— Je n’en vois aucune. Si j’étais libéré de la stèle, rien ne dit que je ne serais pas frappé par la malédiction à mon tour. Dans ce cas, je n’aurais aucune envie de vous aider. Elle emporte avec elle la joie et le bonheur non ?
Mia hocha la tête, silencieusement.
— Je suis prêt à assumer mes erreurs. Peut-être que j’aurais dû disparaitre ce jour-là. J’ai eu un bonus en pouvant revoir une dernière fois mes proches.
Les paroles du magicien sonnèrent comme un testament aux oreilles d’Elara. Son ventre se tordit et elle se leva subitement.
— Arrête de parler comme si tu allais mourir, hurla-t-elle. Elle se précipita vers la sortie, et courut jusqu’à l’extérieur de la ville. Sur le chemin qui menait à la ferme familiale. — Elara, attends ! — Laisse-moi tranquille Aelius, je trouverai une solution toute seule, vu que tu as l’air pressé de disparaitre. Le magicien lui barra la route et lui agrippa les épaules. — Tu vas laisser ton père dans cet état ? Est-ce que tu vas vraiment prendre la responsabilité que d’autres soient victimes de la malédiction ? Je ne peux pas t’imposer ça Elara ! Pas pour réparer mes erreurs. — On fait tous des erreurs Aelius, s’énerva-t-elle. Ce n’est pas pour autant que tu mérites d’être condamné. Plus j’y pense et plus c’est impossible. Je ne pourrai pas faire ça Aelius. J’ai passé tout le trajet à envisager de te perdre et mon cœur est en miette. Je croyais qu’être auprès de mes proches m’aiderait, mais ça ne change rien ! Ses mains s’étaient mises à trembler de colère. — Elara… Le magicien effleurait le contour de son visage avec douceur. — J’imagine que je t’aime, souffla-t-elle. Aelius se pencha et lui attrapa la bouche. Ce baiser passionné réveilla les sens de la sorcière. Elle aurait voulu qu’il dure une éternité, mais Aelius se détacha d’elle et reposa son front contre le sien. Elle se rendit compte que le collier de Margot qu’elle avait mis en sécurité autour de son cou se trouvait dans les mains du magicien. — Qu’est-ce que ? — Je fais ce que j’aurais dû faire depuis longtemps. Je répare mes erreurs. Elara tenta de s’éloigner, mais Aelius lui attrapa le poignet avec fermeté. — Mais je croyais que c’était moi qui devais faire ça avec ma magie ! — Tu as oublié mes enseignements ! Quand j’utilise la magie sous forme spectrale, c’est dans la tienne que je puise. Le sang d’Elara se glaça. Est-ce que Thalior savait ? Est-ce qu’il se doutait du choix qu’Aelius allait faire ? — Je suis désolé, Elara, continua-t-il. Tu ne pourras sûrement plus faire de magie après ça. — Tu ne peux pas faire ça, gémit Elara. Pourquoi te sacrifierais-tu ? — Parce que je t’aime, souffla le magicien. Je veux te protéger. Je crois que ton ancêtre ressentait la même chose pour la propriétaire de ce collier. Ces quelques jours à tes côtés ont été magiques et ont réveillé chez moi une envie de vivre que je n’avais jamais éprouvée étouffé par les attentes de mon père et mon orgueil. J’aurais été ravi de passer une vie simple avec toi. — Ne fais pas ça, implora Elara. On va trouver une solution. Je t’en supplie, ne disparais pas. — Oh, avant de partir il y a une chose que je voulais rectifier. Ton corps ne m’a jamais laissé de marbre. Dès l’instant où je t’ai vu dans la forêt, l’attraction que j’éprouvais pour toi n’a jamais faibli. Ta volonté et ton empathie pour les autres m’ont ouvert les yeux sur la façon dont je vivais. Tu m’as montré un monde où l’amour et la compassion sont plus fort que tout. Pendant qu’il parlait, la main d’Aelius brilla. Elara sentit la magie affluer à travers elle. Elle tenta de l’arrêter, de stopper le magicien, mais son appel était plus fort qu’elle. Toute la puissance qui coulait en elle se concentra dans la main d’Aelius. L’appel de la terre qu’elle ressentait habituellement cessa quand toute son énergie magique fut vidée. Aelius déposa un ultime baiser sur ses lèvres. Une lumière intense éclaira le bijou et aveugla la jeune femme. — Je t’aime. Ne m’en veux pas trop. L’instant d’après, le collier retombait sur le sol, Aelius avait disparu. Sidérée, Elara se pencha pour le ramasser et tenta d’appeler son pouvoir, en vain. — Non, non, reviens, s’il te plait. — Petite fée ? Qu’est-ce que tu fais ? Elara releva la tête et découvrit son père au bout du chemin. L’éclat dans ses yeux prouvait à Elara qu’il était de retour, la malédiction était levée. Elle courut dans ses bras, incapable de faire autre chose que de pleurer. — Ça va aller ma petite fée, je suis là maintenant.