Chapitre 20 – Les catacombes
20 décembre 2023Chapitre 22 – Dilemme
22 décembre 2023Elara venait de voir Thalior rompre la malédiction avec son pouvoir. Mais quel était le lien avec le cristal de Yule ? Pourquoi lui montrait-il cela ? Est-ce que… ? Non, ce n’était pas possible. Elle se refusait de penser à cette hypothèse.
— Tu ne veux pas faire une pause ? s’inquiéta Aelius. Tu es translucide.
— Non. Je suis fatiguée, mais ça va aller.
— Qu’est-ce que tu as vu dans la dernière vision ?
— Je… bredouilla Elara. Je crois que Thalior est celui qui a permis de lever la malédiction qu’il y avait sur le continent.
— Grâce au cristal ?
— C’est ce que je pensais, mais…
— Mais ?
Elle n’osa pas continuer sa phrase. Ce qu’impliquait la réponse était trop lourd. Elle n’était pas sûre de vouloir poursuivre, elle tremblait de peur.
Aelius s’approcha et l’entoura de ses bras. La chaleur qui se dégagea de son corps lui donna envie de pleurer. Elle avait l’impression qu’ils s’étaient trompés sur toute la ligne.
— Tu devrais vraiment te reposer, s’inquiéta Aelius.
Il attrapa sa baguette pour faire apparaitre des petits sièges, des tasses encore fumantes puis exhorta Elara à s’y installer en la couvant du regard.
Elle essayait de noyer ses doutes dans la contemplation des feuilles de thé quand un toussotement du magicien la fit sursauter.
— Ce que tu as dit tout à l’heure, marmonna-t-il.
— Quoi ?
— Que je pourrais revenir t’apprendre la magie ! s’exclama-t-il. Je ne parviens pas à le sortir de ma tête. Depuis que tu as prononcé cette phrase, je n’arrive plus à me concentrer. Tout ce que j’imagine c’est te retrouver avec le corps d’un vieillard.
Son regard d’abord fuyant trouva les yeux d’Elara et ne les quitta plus.
— Je ne crois pas pouvoir le faire.
Elara sentit les pulsations de son cœur s’intensifier, se multiplier, se propager jusqu’au fond de son crâne. Une chaleur inattendue se diffusa dans ses veines. Elle s’humecta les lèvres.
— Pourquoi ?
— Cette alchimie entre nous, chuchota-t-il. Je ne suis pas prêt à faire une croix dessus. Et j’ai réfléchi, si quand je revenais je bouleversai le cours du temps ? Si à cause de moi, Paul et Giselle ne pouvaient pas être ensemble ?
Une lueur de prédateur s’alluma dans les yeux d’Aelius.
— Est-ce que ça serait mal ? De vouloir rester à tes côtés ? Est-ce que tu accepterais un magicien arrogant en compagnon ?
— Aelius… Je…
Il tira sa chaise pour se mettre en face d’elle. Tous les sens de la jeune femme étaient décuplés. Et maintenant que la main du magicien glissait le long de son bras et que leurs souffles se rencontraient, elle ne souhaitait qu’une seule chose.
— Et si tu regrettais, susurra-t-elle. On ne se connait pas depuis longtemps. Si tu finissais par te rendre compte que rester avec moi était une erreur ?
— Je suis assez grand pour connaitre mes désirs et surtout pour les assumer, s’amusa-t-il. Mais toi, qu’est-ce que tu en penses ? Parce que là, perdu dans tes yeux d’émeraudes, je ne souhaite que t’embrasser.
Elara essayait de réfléchir à cette situation, mais son cœur prit le pas sur sa raison. Son cœur qui battait plus vite que des tambours de guerre. Elle pencha la tête avec un sourire taquin en voyant l’inquiétude perler dans les yeux d’Aelius.
— Je meurs d’envie de t’embrasser aussi.
Les derniers mots prononcés par la jeune femme libérèrent la passion qu’Aelius faisait taire depuis leur rencontre. Il attrapa son visage pour l’embrasser.
Quand leurs lèvres se rencontrèrent, le cœur d’Elara explosa. Ce baiser était telle une évidence, comme si leurs bouches étaient faites pour se trouver. D’abord doux, il s’intensifia, devenait brûlant comme leur désir. Leurs corps s’abandonnèrent, leur étreinte devant de plus en plus intime. Elara sentit la main chaude d’Aelius glisser sous son pull pour remonter dans son dos avec douceur. Du bout de ses lèvres, il déposait des baisers le long de sa nuque, faisant frissonner de plaisir la jeune femme à chaque contact.
— Dis-moi de m’arrêter, chuchota-t-il.
— Continue, implora-t-elle.
Il la plaqua contre un mur froid, les mains d’Aelius finirent par agripper ses cuisses. La chaleur de son bas ventre s’intensifia. Elle se perdait dans leurs baisers et leurs caresses quand un cri strident retentit à côté d’eux. Surpris, Aelius sursauta et lâcha Elara qui tomba au sol.
Ils se contemplèrent, gênés, le souffle coupé. Mais quand leurs yeux se croisèrent, ils éclatèrent de rire. Aelius lui tendit la main pour l’aider à remonter sur ses jambes en la dévorant du regard. Un deuxième cri résonna et tous les deux se retournèrent pour découvrir l’animal qui sautillait entre les murs froids des catacombes.
— C’est lui ! reconnut Elara. Celui qui m’a conduit jusqu’à la stèle !
— Suivons-le !
Comme lors de sa rencontre avec l’animal dans la forêt, l’étrange bête lumineuse à la tête de renard les attendait avant de repartir dans le dédale des catacombes. La course effrénée n’empêchait pas Elara de revivre son baiser avec Aelius. Le gout de ses lèvres imprégné sur les siennes la laissait sur sa faim. Est-ce qu’il ressentait la même chose pour elle ? Est-ce qu’il était vraiment sérieux ? Pourraient-ils avoir un avenir ensemble ?
Elle aurait voulu que ce moment ne s’arrête jamais. Tout semblait si naturel avec lui, si facile. Pourtant, maintenant qu’elle devait faire face à la réalité de leur quête, un mauvais pressentiment lui collait à la peau.
Le lémurien doré ralentit sa course pour entrer dans une salle. Des fioles de toutes les couleurs reposaient sur des étagères en métal rouillé. La poussière s’entassait sur les bouchons et des araignées avaient élu domicile entre les espaces vacants.
— On dirait la réserve d’un apothicaire, dit Aelius.
— Thalior devait ranger ses potions ici, remarqua Elara. Il me ressemblait vraiment.
En passant devant certains flacons, elle reconnut certaines associations de plantes qu’elle-même réalisait.
L’animal s’installa sur un coffre et recommença à crier, impatient qu’Elara le rejoigne.
— Je crois qu’il veut que je le touche. Comme je l’ai fait avec la stèle.
— Je suis avec toi, répondit Aelius.
Les yeux d’Aelius retrouvèrent ceux d’Elara, et dans ce regard partagé, elle vit plus que de la passion. Elle discerna une compréhension tacite, une connexion qui allait au-delà du moment présent. Elle s’avança avec douceur près de l’animal qui comme la première fois tendit sa petite patte dorée pour rencontrer la main d’Elara. À son contact, elle se sentit chavirer, s’effondra sur le sol et fut rattrapée de justesse par le magicien. Elle entendit le son de sa voix avant de sombrer.
Quand elle se réveilla, elle était entourée par une horde de ces étranges animaux au milieu d’une végétation luxuriante qu’elle n’avait jamais vu dans sa forêt. Elle se frotta les yeux. Un homme au teint basané, un sourire tendre sur le visage s’approchait chaleureusement d’elle. Elle reconnut celui qui lui était apparu dans les visions. Comment était ce possible ? Était-ce un rêve ? Ça lui semblait si réel.
— Bonjour Elara.
— Thalior ? s’étonna Elara. Vous connaissez mon nom ?
— Je connais tous mes descendants, rigola l’homme. Quand j’ai libéré ce pays de la malédiction, un bout de ma conscience s’est transféré à l’intérieur du collier de ma femme. Ainsi, je continue à veiller sur lui et sur vous.
— Vous êtes bien mon ancêtre alors ?
— Sans aucun doute.
Il lui tendit le bras pour l’aider à se relever. Pour un rêve, c’était vraiment réaliste. Que lui voulait son ancêtre ? Vu l’air déterminé qu’il arborait, elle serait bientôt fixée.
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
Depuis qu’elle s’était réveillée, elle se sentait chez elle, comme si ses pieds connaissaient déjà la terre qu’elle foulait.
— Dans la forêt de mon pays d’origine, expliqua-t-il. Il faut croire que ça me manquait.
— L’animal qui m’a mené à vous provient d’ici aussi ?
Elara se retourna vers le groupe qui s’amusait maintenant dans les arbres.
— Oui, ce sont des animaux mythiques qui guidaient mon peuple dans l’utilisation de nos pouvoirs. Je ne sais pas comment ils font, mais ils me tiennent compagnie ici.
Thalior se tourna vers elle, le regard soucieux.
— Je sais pourquoi tu es ici. Je ne pourrai pas t’aider.
— Vous savez que je viens pour le cristal ? s’inquiéta Elara. La malédiction recommence et mon père en est la victime. Je veux le sauver.
Pourquoi disait-il qu’il ne pouvait pas l’aider ? Après tout, Aelius lui avait bien dit que les pistes qu’il avait suivies étaient fiables.
— Je pensais que tu aurais déjà compris.
L’air grave de Thalior donna une sueur froide à Elara. Il s’installa sur une grosse pierre recouverte de lierre et l’invita à s’assoir à ses côtés.
— Ce que vous cherchez n’est nul autre que le collier de Margot, c’est lui qui protège le continent de la malédiction. Il n’y a jamais eu de cristal.
Les mots de Thalior transpercèrent le cœur d’Elara. Elle serra les poings. Ce qu’elle avait redouté pendant toute la traversée, après avoir vu les visions, se réalisait.
— Mais pourquoi avoir fait croire qu’il pouvait exaucer les souhaits, d’où vient cette légende ? Ce n’est pas juste !
— Avec le temps, l’histoire a été modifiée. Les récits oraux ont transformé mon sacrifice en un objet miraculeux qui accomplissait les vœux. Je suis désolé, Elara. Je sais à quel point tu comptais sur le cristal.
Elara tenta de reprendre sa respiration qui devenait difficile. Les larmes lui montaient aux yeux. Tout l’espoir, celui de sauver sa famille, celui de sauver Aelius, tout s’écroulait. Aelius… Elle se mordit les lèvres. Elle venait d’effleurer le désir de vivre une histoire avec lui que déjà elle s’envolait. Elle s’attrapa la tête entre ses mains.
— Comment vais-je faire maintenant ? gémit-elle. Pourquoi la malédiction recommence ? Je croyais que vous deviez nous défendre !
Thalior lui tapotait le dos pour la réconforter.
— L’intrusion du magicien a tout déclenché. La stèle était une protection supplémentaire mise en place pour dissuader quiconque de trouver le collier. Malheureusement, je n’avais pas pensé que les habitants de Colroy allaient développer leur propre magie ni que celui qui se présenterait devant la stèle possède une telle puissance. L’énergie qu’il a fallu pour empêcher le magicien de continuer sa quête a fissuré le collier, laissant s’échapper des bribes de la malédiction. Pour la contenir, je la dirige sur les habitants d’Aubelumières.
Elara sursauta.
— Quoi ?
Les mains de Thalior tremblaient. Son regard fuyait celui de la jeune femme.
— Quand elle touche un des habitants d’Aubelumière, elle absorbe sa magie, qui est une réminiscence de la mienne et referme temporairement le cristal.
— Voilà pourquoi ça n’arrive qu’au moment du solstice ?
— Oui. C’était soit ça, soit plus de victimes. J’ai fait ce qui me semblait le plus juste même si ça me brise le cœur.
— Existe-t-il une solution à tout ça ? demanda Elara. Je pourrais faire quelque chose ? Mes pouvoirs sont différents des autres habitants.
— Ils ne sont pas différents, expliqua Thalior. Ils sont plus puissants. Je connais bien un moyen, mais il ne va pas te plaire.
Elara releva la tête, écoutant avec attention son ancêtre.
— Si tu réinjectes toute ta magie dans le cristal, tu pourras le réparer. Alors la malédiction se lèvera pour les résidents d’Aubelumière et le continent sera protégé, mais…
— Mais ?
Elara était suspendue aux lèvres de Thalior. Son cœur explosa quand elle entendit la suite de sa phrase.
— Le magicien ne pourra pas être sauvé. Il sera condamné à rester dans la stèle pour l’éternité.