Chapitre 16 – Un bal inattendu
16 décembre 2023Chapitre 18 – Sibylle Blancherive
18 décembre 2023Malgré les supplications d’Elara, Filomène avait insisté pour qu’elle porte le cadeau de Mme Blancherive. Pendant leurs préparatifs elle n’avait cessé de faire des suppositions sur la signification du paquet. Elle pensait que Sybille renouait avec ses habitudes d’antan. Filomène avait entendu qu’avant la mort de son mari et de son fils, elle désignait chaque année une favorite pour le bal. Elle avait disparu des festivités depuis des années, terrassée par la tristesse et la maladie. Qu’est-ce qui lui avait fait changer d’avis ? Elara avait l’impression de louper quelque chose. Pourquoi l’avait-elle choisi ? Et comment est-ce qu’elle la connaissait ? Le roi lui avait-il parlé d’elle ? Est-ce qu’elle voulait lui demander des informations sur Aelius ? Celui-ci n’était toujours pas de retour. Est-ce qu’il avait abandonné l’idée de retrouver le cristal ? Son cœur s’accélérait alors que les questions se bousculaient dans sa tête. Elle reprit sa respiration pour faire disparaitre le nœud qui naissait dans son ventre. Elle ajusta son masque doré sur le visage quand la voix de Filomène, déjà sur le départ, l’interpella.
— Tu es prête ?
Elara sourit. Filomène possédait le même empressement que sa petite sœur.
— J’arrive !
Elle entendit Filomène dévaler les escaliers. Avant de descendre pour retrouver l’aubergiste qui patientait dans le hall, elle ferma les yeux quelques instants. Elle essayait de taire ses pensées qui lui disaient que c’était une mauvaise idée d’aller à ce bal. La tenue somptueuse dans laquelle elle se trouvait la mettait tellement mal à l’aise. Elle espérait survivre à cette soirée le temps de parler à la mère d’Aelius. En bas des escaliers, Filomène regardait par la baie vitrée, attendant l’arrivée de son père qui devait les emmener. Elara s’arrêta quelques secondes pour admirer sa nouvelle amie. Une robe à volants rouge assortie à un masque de la même teinte pourpre rehaussait son teint clair. Elara remonta sa traine et d’une démarche gauche, rejoignit Filomène. Aelius se serait empressé de lui faire remarquer la forte probabilité qu’elle se prenne les pieds dedans. Elle soupira, elle ne voulait pas se l’avouer, mais le magicien lui manquait.
— Tu es stupéfiante, chuchota Filomène.
Elara contempla tendrement l’aubergiste. Son attitude bienveillante et sa chaleur lui rappelaient son village. Un pincement au cœur la secoua, sa maison lui manquait, ses amis lui manquaient. Elle aurait dû rester avec eux plutôt que de se lancer dans cette quête sans espoir.
Des bruits de sabots la sortirent de sa rêverie. Elle leva un sourcil intrigué sous le regard amusé de Filomène.
— Voilà notre chauffeur ! clama l’aubergiste.
Elle empoigna deux gros manteaux duveteux qu’elle passa sur son dos et sur celui d’Elara. Elle attrapa la main de la sorcière pour l’entrainer à l’extérieur. Elara poussa un cri de surprise en découvrant le père de Filomène juché sur un carrosse tiré par des rennes. Ils étaient magnifiques, des bois imposants encadraient leurs têtes. Elara n’avait jamais vu ça ! C’était atypique, mais tellement magique.
Un sourire étira le visage du vieux monsieur. Sous sa barbe touffue, il dévoila de belles dents blanches étincelantes. Filomène se précipita pour l’enlacer et lui déposer un baiser tendre sur sa joue.
— Tu as sorti le grand jeu cette année !
— Je devais bien me mettre à votre niveau, plaisanta-t-il.
Elara enjamba tant bien que mal les marches en bois aidée par son amie qui entra à sa suite dans le carrosse.
— Il fait bien froid ce soir, frissonna Filomène.
Elara opina et se blottit contre elle. Le père de l’aubergiste claqua sa langue, les rennes s’élancèrent sous l’œil protecteur du vieux barbu. Ils lui obéissaient au doigt et à l’œil.
— C’est vos rennes ? demanda-t-elle, curieuse.
— Ce sont ses compagnons ! répondit Filomène d’un ton joyeux. Papa a un lien particulier avec les animaux de la forêt.
Le martèlement des sabots rejoignit ceux des autres carrosses. Bientôt, un embouteillage se forma dans chacune des rues de Colroy. Les rires s’élevaient dans le brouhaha et la bonne humeur semblait de mise. En file indienne, ils s’enfilèrent dans un chemin étroit bordé d’arbres et de rosiers.
— Le bal n’est pas au château ? chuchota Elara.
— Non ! s’exclama Filomène, surprise. Oh, mais je ne t’ai même pas dit. Nous allons aux jardins enchantés, c’est là-bas que se déroule la soirée !
— Les jardins enchantés ?
Un éclair de malice passa sur le visage de Filomène. Sans répondre à la question d’Elara, elle attrapa ses mains, souffla dessus pour récupérer un peu de chaleur.
— On n’est pas habillée pour une nuit dans des jardins ! s’inquiéta la sorcière. On va se transformer en glaçon !
— Oh, râla Filomène, laisse-toi surprendre ! Ce n’est pas pour rien qu’on dit que c’est l’endroit le plus magique de tout le continent !
Elara pencha sa tête à travers la lucarne pour tenter d’apercevoir les jardins, mais elle ne discernait rien de plus que les autres carrosses, bien plus flamboyants que le leur, et de la végétation. Ils empruntèrent des chemins pavés qui secouèrent leur chariot. Filomène mourrait d’impatience. Elara sentait l’excitation monter chez l’aubergiste ; elle ne tenait pas en place. Elle s’avoua qu’elle était curieuse de voir à quoi pouvaient bien ressembler ses jardins. Filomène en avait fait une telle description ! Dès que les rennes s’arrêtèrent, les deux jeunes femmes se précipitèrent à l’extérieur.
— C’est beau non ? demanda Filomène.
Elle observait Elara avec un regard pétillant. Le souffle coupé, la sorcière admirait le paysage qui se trouvait devant elle. Un dôme argenté couvrait un immense jardin ou des plantes en fleur coloraient l’intérieur.
— Comment c’est possible ? chuchota Elara.
— Les magiciens du roi ! s’amusa Filomène. Ils ont créé ce dôme des années auparavant. Depuis, ils le rechargent avec de la magie pour qu’il continue à fonctionner. Les jardins fleurissent toute l’année. Je ne t’avais pas menti ! Ce lieu est magnifique, ça aurait été dommage de ne pas venir.
Le père de Filomène leur souhaita une bonne soirée puis retourna s’occuper de ses rennes.
— Il ne vient pas ? questionna Elara.
— Non, ce n’est pas trop son truc les bals ! Mais ne t’inquiète pas pour lui, il retrouve chaque année ses copains et ils se font une petite soirée de leur côté.
Effectivement, le barbu rejoignait un groupe de bonhommes aussi joyeux que lui qui tenaient dans leurs mains des chopes de bière bien remplies.
Après de longues minutes dans la file, des valets les accueillirent. Ils attrapèrent leurs manteaux puis les convièrent à entrer. Elara apprécia la chaleur dès son entrée dans les jardins. Entre les plantes et les fleurs multicolores se dressaient des tables rondes en verre. De la vaisselle en cristal attendait les invités et Elara se retrouva rapidement avec une fiole ainsi que des petits fours dans les mains. Les convives se pressaient devant une estrade ou des violoncellistes finalisaient le réglage de leurs instruments. Un coup d’œil aux robes de participantes rassura Elara sur sa propre tenue. Elle paraissait plutôt sage comparée à d’autres. Elle avala d’un trait la flûte laissant le liquide sucré et alcoolisé pour réchauffer sa gorge et se donner du courage. Au milieu de tous ces gens masqués, elle se sentait un peu perdue. Elle abandonna Filomène en pleine conversation avec un groupe d’amis pour faire un tour des massifs.
Elle repéra une entrée camouflée entre deux bosquets de plantes et s’enfonça dans un carrousel. Un banc en marbre était éclairé par des lampions, entouré par des roses rouges. Dans l’air virevoltaient des centaines de lucioles. Les insectes se dissipèrent à l’approche de la jeune femme. Elara s’installa dessus en soupirant. Si venir au bal lui avait semblé une bonne idée quelques heures plus tôt, elle se retrouvait maintenant complètement perdue. Elle avait observé les visages masqués dans l’espoir d’y voir apparaitre des yeux de couleurs acier. Sans succès. Un bruit dans les buissons attira son attention. Un homme s’engouffra à son tour dans le carrousel. Il portait un magnifique costume vert qui mettait en valeur sa carrure musclée. Un masque noir accentuait la couleur de ses yeux, identique à celle d’Elara.
— Oh, je vois qu’on m’a déjà piqué ma cachette secrète, plaisanta-t-il.
— Je ne savais pas que c’était réservé.
Elle se leva instantanément, décidément bien gênée dans ce genre de mondanité. L’homme s’approcha d’elle, ses yeux verts pétillaient.
— C’est la première fois que vous assistez au bal ?
— Oui, répondit-elle. On m’a invité.
La musique s’élevait de l’estrade.
— Oh, vous entendez ? demanda-t-il. La première danse débute.
Il observa Elara.
— Vous n’allez pas rester là alors que tout le monde s’amuse ?
— Je… bafouilla-t-elle. Je n’ai pas de cavalier.
Il s’inclina devant elle avec prestance et lui tendit son bras. Elara ne savait plus où se mettre. Jamais encore on ne l’avait invité à danser avec autant de grâce.
— Il parait que je me débrouille plutôt bien.
Il toussota voyant que la jeune femme ne réagissait pas.
— Je vous expliquerai à qui vous devez parler pour vivre une soirée mémorable, continua-t-il. Je suis un expert ici.
Après tout, pourquoi ne pas accepter ? Une danse ne la tuerait pas et elle découvrirait peut-être où se trouvait Sybille Blancherive parmi toute cette foule.
Elle passa son bras en tremblant sous celui de son cavalier de fortune qui rayonna. Elle sentit son regard la parcourir, s’attarder sur sa robe. Elle remonta le bustier, gênée, essayant de recouvrir un peu sa peau.
— Ne vous cachez pas, rigola-t-il. Vous êtes magnifique.
Le compliment lui pinça le cœur, bien qu’elle l’apprécie, elle aurait préféré l’entendre de la part de quelqu’un d’autre.
Il l’entraina sur la piste de danse, glissa sa main sur sa taille et commença à la faire bouger tout en laissant une distance pudique entre eux.
— Vous voyez, chuchota-t-il à son oreille pendant qu’ils tournoyaient, le groupe à votre droite c’est les magiciens du royaume, ce sont eux qui organisent la réception. Vous les reconnaissez à l’écusson brodé sur leur costume.
— Là-bas, continua-t-il, la grande table qui s’étire au fond du jardin est celle de la famille royale. À moins d’être invitée, je vous conseille de ne pas vous approcher ou un garde vous raccompagnera à l’entrée.
Il resserra la taille d’Elara.
— Les carrousels sont vides en début de soirée, mais ils vont vite se remplir d’amoureux en quête d’intimité.
— Il ne reste donc plus que la piste de danse et le buffet, pouffa Elara.
Alors qu’ils virevoltaient, elle rassembla tout son courage.
— Est-ce que vous savez ou je peux trouver Sybille Blancherive ? osa-t-elle. Elle m’a invité, je voulais la remercier pour la robe.
— Sibylle vous a invité ? s’exclama-t-il.
— Vous la connaissez ?
Les violons terminaient la valse dans un long sanglot. Son cavalier se pencha, attrapa la main d’Elara pour lui déposer un baiser.
— Si vous patientez un peu, je vais vous la ramener, proposa-t-il. En échange d’une seconde danse.
Elara se sentit rougir face à cet homme qui la courtisait. Elle tourna la tête, gênée quand elle capta un regard gris qu’elle connaissait bien parmi la foule. Aelius l’observait, ses yeux brillaient d’une lueur qu’elle n’avait encore jamais vue. Il se pinça les lèvres et elle décela un certain agacement dans son attitude. Son cavalier lui lâcha la main avec douceur, la forçant à se reconcentrer sur lui. Elle accepterait volontiers une deuxième danse si ça lui permettait de rencontrer la mère d’Aelius. Elle ne perdait pas son objectif de vue.
— D’accord, souffla-t-elle.
Il lui tendit le bras, l’accompagna vers le buffet et lui attrapa une flûte au passage d’un serveur. Elle s’obligea à ignorer Aelius, dont elle sentait toute l’attention focalisée sur elle.
— Je reviens dans cinq minutes, attendez-moi ici.
Après une légère révérence, son cavalier mystère s’éloigna, laissant Elara seule devant les mignardises dont l’odeur attisait les grognements de son estomac. Pourtant son regard dévia vite sur la silhouette d’Aelius de l’autre côté de la table en verre.