Chapitre 13 – Colroy
13 décembre 2023Chapitre 15 – Rencontre royale
15 décembre 2023Elara saisit la pièce qu’Aelius agitait devant ses yeux. Est-ce que ce petit objet rond pouvait vraiment ouvrir les portes du château ?
— Ne t’inquiète pas, affirma le magicien. On ira ensemble. Tu devrais la mettre en sécurité en attendant.
Elle se leva, rompit le contact avec la main chaude d’Aelius et déposa le laissez-passer sur sa table de chevet. Elle se délassa sur le lit, les jambes pendantes. Elle imaginait bien que si la pièce ne leur ouvrait pas les portes du château, la déception serait grande pour Aelius. Comment réagirait le roi en apprenant qu’il était encore vivant ? Qu’il était resté piégé pendant toutes ces années ? Elle ne parvenait pas à s’empêcher de se faire du souci pour l’entrevue qui arrivait. Elle ne savait pas ce qu’elle ferait s’il n’acceptait pas de les laisser entrer dans les catacombes.
— Il y a un autre sujet qu’on doit aborder, continua Aelius.
Elle fronça des sourcils quand il vint s’assoir en tailleur sur la couette. Il souriait, ce qui rassura la jeune femme. Ses yeux retrouvaient un peu de leur éclat.
— Quoi donc ? demanda-t-elle.
— Ton entrainement ! s’écria-t-il. Tu croyais vraiment que j’allais oublier ?
— Je ne pense pas, Aelius, grimaça-t-elle. J’ai essayé quand j’étais jeune de pratiquer. J’étais déçu de ne pas avoir les mêmes dons que les habitants de mon village, mais je m’en suis remise ! Je suis heureuse comme ça.
Il tortilla du nez puis passa la main dans ses cheveux ébouriffés.
— Tu n’as jamais testé avec moi ! répliqua-t-il. Je ne suis pas le meilleur magicien du royaume pour rien ! Et ça pourrait être utile dans les catacombes, s’il y a des pièges je préfèrerais que tu puisses te défendre.
Il voyait que la jeune femme hésitait, défaisait sa natte pour jouer nerveusement avec ses cheveux.
— On essaye une ou deux fois ! insista-t-il. Si ça ne marche pas, je te laisserai tranquille.
Elle n’osait pas lui dire oui. Elle voyait tant d’espoir dans ses yeux. Un espoir qu’elle-même avait perdu depuis tellement longtemps. Avait-elle peur de le décevoir ou de se décevoir encore une fois de plus ?
— Tu ne crains rien ! souligna-t-il. Si je me trompe, ce n’est pas grave ! Tu es très bien comme tu es, je ne veux pas te changer ! Juste t’ouvrir à d’autres possibilités.
Il restait pendu à ses lèvres. Il espérait tellement qu’elle dise oui.
— OK ! abdiqua-t-elle. Mais seulement une fois.
— Une fois ou deux…
— Aelius…
— Viens vers moi.
Il lui demanda de s’approcher de lui. Assis en tailleur, leurs genoux se frôlaient, le cœur de la jeune femme s’accéléra. La chaleur dans la pièce monta subitement d’un cran. Ça ne s’arrangea pas quand il attrapa ses deux poignets.
— Je ne sais pas si tu es au courant, commença-t-il d’un ton professoral, mais on a tous une réserve de chakra en nous. Une certaine quantité allouée à la naissance. Certains n’en ont que très peu, ils ne peuvent alors pas faire de magie. D’autres, comme moi, en ont un incroyable stock.
Ses yeux glacés pétillèrent en fixant Elara.
— Et puis… continua-t-il. Il y a toi. Tu puises ton chakra autre part.
— Autre part ? s’inquiéta Elara.
Il lui lâcha son poignet pour lui caresser la joue du bout du doigt, son cœur s’accéléra.
— Ferme les yeux, demanda-t-il. Je vais appeler ta magie. Essaye de te focaliser sur ce que tu éprouves.
Elle l’écouta. Elle baissa les paupières pour se concentrer sur les murmures du magicien. Elle sentait son souffle sur son visage. Sa proximité avec lui ne favorisait pas sa concentration, elle était comme électrisée par son contact. Puis d’un coup, une vague de chaleur la parcourut, cette même sensation qu’elle ressentait en fabriquant les potions. Cette bulle de douceur, de sérénité.
— Tu l’as senti n’est-ce pas ? la questionna Aelius.
— Oui, acquiesça-t-elle. Je crois. C’était chaud et doux.
Elle ouvrit les yeux, le visage du magicien transpirait la victoire. Puis, elle découvrit des centaines de pétales de roses disséminées sur le lit.
— Qu’est-ce que ?
— C’est le seul sort auquel j’ai pensé, répondit-il avec malice. Va savoir. Maintenant, c’est à toi d’essayer.
Il bascula sa tête sur le côté, perplexe.
— J’ai une théorie. Comme tes potions soignent, ta magie devrait s’orienter naturellement vers la guérison. Ça sera un bon point de départ.
Il marmonna à nouveau puis grimaça. Une entaille apparut dans la paume de sa main. Elara s’affola, du sang coulait le long de ses doigts. Elle essaya de se lever pour chercher de quoi bander la plaie, mais Aelius la retint.
— Teste d’abord seule, insista-t-il. C’est une petite coupure ! Ça ne saignera pas beaucoup. Je te donne l’impulsion. Il faut que tu rediriges l’influx magique sur ton objectif. Tu es prête ?
Non, elle n’était pas du tout prête. Son cœur battait à la chamade. Elle sentit la bulle de douceur se matérialiser autour d’elle. Elle se concentra et l’imagina glisser jusqu’à ses mains.
— Elara, ça marche ! Regarde !
Elle ouvrit les yeux, ses phalanges brillaient d’une lumière dorée. Elle passa le bout de ses doigts sur la plaie d’Aelius qui se referma. Elle avait réussi ? Bon sang, elle avait réussi !
Envahie par la joie de son succès, elle se jeta sans réfléchir au cou du magicien. Elle réalisa qu’elle se trouvait dans ses bras quand le parfum sucré d’Aelius l’enivra. Elle s’écarta, gênée, les joues en feu. Aelius l’observait avec une curieuse lueur dans son regard.
— Je… bégaya-t-elle… Je…
Elle perdait tous ces moyens, elle ne savait pas ce qui la perturbait le plus, cette étrange intimité qu’elle venait d’avoir avec lui ou le fait qu’elle l’ait apprécié. Il aurait pu parler pour désamorcer cette situation, mais non, il restait là, stoïque, avec ses grands yeux gris magnifiques. Bon sang ! Elara se leva, s’enfuit dans la salle de bain et s’y enferma.
— Elara ? demanda Aelius à travers la porte ? Est-ce que ça va ?
Elle se passa de l’eau fraiche sur le visage pour éteindre le feu qui lui brulait les joues. Qu’est-ce qui lui prenait ? Elle ne pouvait pas se permettre d’éprouver ce genre de sentiment. Aelius retournerait à son époque grâce au cristal de Yule. Elle ne devait pas tomber amoureuse de lui. Peu importe qu’elle n’ait jamais autant frissonné, autant espéré de contact avec une autre personne. Elle respira avant de lui répondre.
— Ça va. Trop d’émotion, je pense. On pourra en rediscuter demain ? Je suis fatiguée.
— Tu as raison, soupira-t-il. Une longue journée s’annonce demain, je n’avais pas vu qu’il était aussi tard. Je te laisse dormir. On se retrouve au petit déjeuner ?
Une pointe d’inquiétude perça dans les réflexions de la jeune femme. Elle ressortit de la salle de bain pour tomber nez à nez avec le magicien qui flottait derrière la porte.
— Tu vas où ? demanda-t-elle.
— Je vais aller me promener, souffla-t-il. Je n’ai pas besoin de sommeil et je ne veux pas t’embêter plus longtemps.
— Tu peux rester, ça ne me dérange pas.
Elle se mordit la lèvre. Toujours à parler sans réfléchir. Bien sûr elle ne voulait pas qu’il passe la nuit à errer dans la ville, seul, mais si elle sentait sa présence dans la chambre, elle n’était pas sûre de réussir à dormir.
— Si je reste, chuchota-t-il. Je ne suis pas certain de te laisser dormir. À demain Elara. Tu t’es bien débrouillée ce soir, pour un premier cours de magie.
Après un clin d’œil, il s’envola à travers la fenêtre en abandonnant la jeune femme ébahie. Elle avait du mal à saisir la signification de ses dernières paroles. Ou plutôt, elle préférait ne pas les comprendre.
Elle sauta dans le lit, souleva les couettes aussi légères que des nuages et s’y roula en boule. L’odeur des pétales de roses la ramenait constamment à la soirée qu’elle venait de passer.
Aelius flottait dans les rues désertes. Son cœur tambourinait contre son torse. Une seconde de plus dans la chambre de la jeune femme aurait été de la torture. Pendant toute la soirée, il avait été obnubilé par ses lèvres, quand elle l’avait pris dans ses bras, il avait eu la sensation que sa poitrine allait exploser. Depuis qu’il l’avait rencontrée, il ne s’expliquait pas la connexion qu’il ressentait avec elle. Pour une fois, il ne se sentait pas isolé. Pour une fois, il avait l’impression de pouvoir compter sur une autre personne que lui-même.
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Elara émergea, les rayons du soleil chatouillèrent ses yeux en traversant les rideaux. Elle se trouvait seule dans la chambre, Aelius n’était pas encore revenu. Elle profita de son absence pour passer une robe épaisse achetée la veille. Si elle rencontrait le roi, autant être un minimum présentable. La couleur vert émeraude du tissu accentuait celui de ses yeux. Elle désespéra à la vue de sa crinière. Elle avait oublié de les natter et la moindre mèche frisottait. Elle les rassembla, les tira en arrière pour les attacher en un chignon serré qui libérait sa nuque fine.
Une délicieuse odeur de gaufres ainsi que de caramel s’élevait du rez-de-chaussée et réveilla son appétit.
Son pied quittait la dernière marche de l’escalier que déjà Filomène l’appelait.
— Vous voilà ! s’exclama-t-elle. Est-ce que vous avez bien dormi ?
Elle attrapa le bras d’Elara avec entrain et l’emmena dans la salle de réception. Des clients y dégustaient déjà leur petit déjeuner. Derrière un bar en bois, un vieil homme s’affairait à la cuisson des victuailles. Son visage caché sous une énorme barbe blanche, il sortait d’un appareil en fonte en forme de cœur des gaufres qui faisaient saliver la jeune femme.
— Dépêchez-vous ! la poussa Filomène. On a des petits gourmands aujourd’hui ! Elle lui montra un groupe d’ enfants occupés à chiper les gaufres encore fumantes, quitte à se bruler le bout des doigts et de la langue.
L’aubergiste l’emmena jusqu’au comptoir pour y saisir un plateau.
— Je vous mets notre jus de fruit maison ! On a un verger dans les jardins du château… J’ai fait un gâteau au chocolat… Papa ?
Le vieux monsieur releva la tête en entendant la voix de sa fille l’appeler.
— Les prochaines gaufres sont pour elle, O.K..
Les enfants émirent un brouhaha de protestation. Après avoir donné son plateau à Elara, Filomène s’accroupit auprès d’eux.
— Ça vous tente des sucres d’orge ? chuchota-t-elle. Si vos parents sont d’accord, j’en ai plein dans la réserve pour vous.
Les yeux des gamins s’illuminèrent à l’évocation des confiseries et ils s’empressèrent de chercher l’approbation demandée.
— Pardonnez ma fille, s’amusa le vieux monsieur.
— Oh ne vous en faites pas ! rigola Elara. C’est réconfortant de rencontrer des gens remplis d’énergie comme elle.
— Elle s’emballe toujours trop ! continua-t-il. Mais c’est de famille.
Il déposa les gaufres dans la seule assiette vide qui restait. Son plateau débordait ! Jamais elle ne réussirait à avaler la moitié des aliments qui s’y trouvaient.
— Bon appétit, termina-t-il avec un clin d’œil.
Elara le remercia puis s’installa sur une table. Elle pouvait y observer des badauds qui se pressaient déjà sur la rue passante. Perdue dans ses réflexions, elle ne vit pas Aelius s’assoir à ses côtés.
— Bien dormi ?
Elara sursauta. En une seconde, toute la soirée d’hier se remémora à elle. Elle ne savait pas comment se comporter avec le magicien alors, elle s’empressa de fourrer l’entièreté de sa gaufre dans sa bouche. Aelius la regarda, surprit et éclata de rire. Son rire communicatif gagna la jeune femme qui manqua de s’étouffer. Des larmes perlaient à ses yeux quand elle commença à respirer de nouveau.
— J’avais l’esprit un peu trop préoccupé pour bien dormir, répondit-elle tardivement.
Le visage d’Aelius s’éclaira.
— J’ai apporté la pièce, continua-t-elle. Est-ce que tu es prêt ?
— Aucune idée.
Il se gratta le front, ses jambes commencèrent à trembloter.
— Ça va bien se passer, le rassura Elara. On y va ensemble.
Elle se dépêcha d’engloutir son petit déjeuner mais il lui fut impossible de tout terminer. Elle le rapporta, penaude, en s’excusant de gâcher de la nourriture. Après de multiples recommandations des endroits à visiter, Filomène la laissa partir de l’auberge en l’enveloppant dans une écharpe polaire.
Aelius l’emmena devant les grilles du château ou deux gardes se tenaient de part et d’autre de l’entrée. Elara s’approcha du soldat, la petite pièce en or entre les doigts. Elle lui tendit, le regarda droit dans les yeux et redressa les épaules.
— Je souhaite rencontrer le roi, s’exclama-t-elle du ton le plus confiant possible. Tout de suite. C’est urgent.