Chapitre 6 – Escapade en forêt
6 décembre 2023Chapitre 8 – L’enquiquineur
8 décembre 2023Elara s’immobilisa, cette voix inconnue venait de la prendre par surprise. Elle était pourtant persuadée n’avoir vu personne dans la clairière.
— Vas-tu me répondre ? Comment es-tu apparue ici ?
Elara se retourna, pour confronter le nouveau venu. Elle découvrit un homme de son âge, les cheveux dorés comme le soleil et des yeux d’aciers qui la jugeaient sans vergogne.
Son teint blafard donnait l’impression qu’il était malade.
— C’est plutôt moi qui devrais poser cette question, répliqua la jeune femme.
Il fronça les sourcils et balaya ses interrogations d’un geste de la main.
— Je n’ai pas de temps à perdre à badiner avec une paysanne !
Il la jaugea du regard et un frisson la parcourut. Elle se sentit observée de la tête au pied.
— Je suppose que tu ne pourras pas m’aider, continua-t-il. Je vais reprendre ma route. Où est donc passée cette satanée carte ? Je l’avais pourtant laissé ici…
L’homme se retourna et sortit de la clairière, il semblait glisser sur le sol.
— Attendez !
Il ne réagit même pas à son appel. Mais qui était ce rustre ? Il avait mis Elara sur les nerfs. Non seulement il la traitait de paysanne, mais en plus il l’ignorait ?
Elle soupira et regagna la stèle, il ne valait pas la peine qu’elle le poursuive dans la forêt. Sur la pierre usée, elle découvrit des glyphes d’origine inconnue. Elle s’assit dans la clairière, pensive. Est-ce qu’il y avait un message caché ? Devrait-elle revenir avec un cahier et chercher quelqu’un qui pourrait le traduire ? La clé de la malédiction se trouvait peut-être dans ces écritures, après tout, l’animal doré l’avait emmené ici.
Elle soupira.
Il valait mieux qu’elle rentre chez elle. Elle ne pouvait rien faire de plus. Elle se releva et épousseta sa jupe.
Elle jeta un dernier coup d’œil à la clairière. Le sentiment que quelque chose d’important reposait là ne la quittait plus. Elle sentait que le sol entier l’appelait, comme lorsqu’elle préparait ses potions. Elle grava l’endroit dans sa mémoire et se retourna. Regagner son chemin dans la forêt ne fut pas des plus aisés. Elle récupéra un petit couteau dans sa sacoche pour marquer la souche des arbres à son passage. Si elle voulait revenir, il lui faudrait retrouver le trajet. L’aube commençait à se lever quand elle aperçut enfin son chalet.
Elle en profiterait pour préparer quelques potions. Il fallait s’occuper pour éviter de tourner en rond. Elle retournerait à la stèle cette nuit avec de quoi écrire et recopier ces écritures étranges.
Sa porte d’entrée en bois grinça quand elle l’ouvrit. Elle déposa ses affaires sur son meuble usé et retira ses chaussures pleines de boues. Elle frissonna, le froid avait envahi son habitation, le foyer de la cheminée étant resté éteint bien trop longtemps. Elle devrait le rallumer pour ne pas terminer en glaçon. Elle se dirigea vers son salon et poussa un cri de surprise. Camille était installé sur le canapé en face d’elle, le regard soucieux.
— Camille ? Pourquoi tu es chez moi ?
Il décroisa les bras et commença à frotter ses mains les unes contre les autres.
— Tu étais dans la forêt n’est-ce pas ?
Elara se crispa.
— Ça ne te regarde pas. J’aimerais que tu sortes de ma maison.
Il écarquilla les yeux, surpris.
— Tu es fâchée.
Il fit cette constatation d’un ton calme, ce qui énerva encore plus Elara.
— Bien sûr que je suis fâchée. Qu’est-ce que tu crois ? À cause de toi mon père est maudit ! Si tu ne m’avais pas retenu, j’aurais pu aller l’aider, le sortir de là ! Mais non ! Monsieur a voulu jouer les chevaliers servants alors qu’il n’en avait aucun droit !
Les épaules de Camille se raidirent face aux accusations d’Elara.
— Je suis ton ami ! se défendit-il.
— Génial, je suis tombé en pleine querelle d’amoureux, lança une voix monotone derrière elle.
Elle se retourna, l’homme aux cheveux dorés la toisait avec dédain.
— Qu’est-ce que… ?
— Elara, je te parle !
Surprise, elle observa Camille qui ne semblait pas avoir remarqué la présence du nouveau venu.
Son regard sauta de l’un à l’autre, choquée.
— Mais qu’est-ce que tu regardes ? insista Camille. Tu as décidé de m’ignorer, c’est ça ?
Il se leva, énervé, et se dirigea vers la sortie. Il passa devant Elara et traversa l’homme aux cheveux blonds.
Il le traversa ? Le sang d’Elara se glaça. Qu’est-ce qui se trouvait face à elle ?
— Je reviendrais plus tard quand tu te seras calmée ! Il faut qu’on discute Ela !
Elara ne quittait pas des yeux le spectre se tenant devant elle. Elle voyait bien qu’il s’amusait de la peur qu’il lisait dans son regard.
Elle recula progressivement afin de laisser une distance respectable entre eux deux. Une fois Camille hors de la pièce, l’inconnu prit la parole.
— Comme tu peux le voir, j’ai un petit souci de consistance.
Il s’élança pour attraper une tasse et sa main passa au travers. Elara laissa échapper un hoquet de surprise.
— Tu es un fantôme ?
— Je n’espère pas, répondit-il en levant les yeux au ciel.
— Pourquoi Camille ne t’a pas vu ?
— La question est plutôt, pourquoi n’y a-t-il que toi qui me vois ?
Il fit semblant de s’assoir sur un des tabourets en bois qui trainait devant lui. Son corps entier lévitant dans les airs.
— Tu vois, après quelques mètres dans la forêt, je me suis rendu compte que quelque chose clochait. Les animaux me traversent comme si je n’existais pas.
Il fit une pause et passa la main dans ses cheveux ébouriffés.
— Une grosse branche m’est tombée dessus et je n’ai rien senti. C’est à ce moment-là que mes souvenirs ont commencé à revenir. Je cherchais quelque chose dans la clairière et je me suis retrouvé emprisonné. Je crois que mon corps est figé dans la stèle.
Un air de dégout s’afficha sur son visage.
— Enfin, j’espère, je suis trop important et trop jeune pour mourir.
— Pourquoi être venu ici ? demanda Elara inquiète.
— Tu ne m’écoutes donc pas ? grimaça-t-il. Tu sembles être la seule à me voir. J’ai retrouvé ta trace facilement grâce aux petites croix que tu as laissées partout.
La respiration d’Elara s’était accélérée pendant son récit. Elle ne pouvait pas perdre de temps avec un tel énergumène. En plus d’être flippant, il était antipathique. Comment pourrait-elle s’en débarrasser ?
— ELARA !
Le cri de sa sœur résonna à l’extérieur. La porte d’entrée s’ouvrit en trombe.
— Elara ! Tu es là ? Tu m’as fait une de ces peurs ! Tu n’étais pas dans ta chambre ce matin ! J’ai cru que tu étais retournée dans la forêt.
— Oh ! Je suis venue faire quelques potions. J’avais besoin de me changer les idées.
— As-tu quelque chose à cacher ? ricana le spectre.
Elara l’ignora. Elle ne le laisserait pas se mêler de ses affaires.
— Je peux rester ? demanda sa sœur. Après on retournera au village ensemble ? Je crois qu’ils ont prévu un repas dans la grande salle pour nous soutenir.
Elara regarda avec tendresse sa petite sœur.
— Bien sûr que tu peux rester !
Jalina attrapa un plaid qui trainait, s’enroula dedans et s’affala dans le canapé. Elara récupéra quelques buches dans le sac en jute et entreprit de démarrer le feu. Le regard gris du spectre lui donnait des frissons dans le dos. Son attitude suffisante lui tapait sur les nefs. D’où sortait-il ? Ses vêtements de bonnes factures ressemblaient à un uniforme. Son pantalon noir en tissu épais et son veston aux touches de gris lui donnaient un air important.
Le feu commençait à crépiter, elle saisit son sceau pour aller chercher de l’eau dans le puits à l’extérieur.
— Est-ce que tu essayes de m’ignorer ? s’amusa le fantôme, quand elle fut de retour dans sa petite cuisine.
Comme si elle allait lui répondre alors que sa sœur se reposait sur le canapé. Elle n’était pas connue pour parler toute seule.
Elle le contourna pour attraper des fleurs séchées accrochées sur son mur en lui lançant un regard noir. Aujourd’hui, elle concocterait un réconfortant, un remède qui apaisait les cœurs brisés. Sa mère en aurait besoin et elle aussi.
Quand l’eau versée quelques instants plus tôt dans son chaudron commença à frémir, elle ferma les yeux, lança les fleurs, quelques épices et du miel. Préparer des potions demandait de la patience, Elara rentrait à chaque fois dans une bulle de calme et de sérénité.
Quand elle rouvrit les yeux, le spectre se tenait juste à côté d’elle, à quelques centimètres de son visage. Son regard pétillait.
— Je crois que tu vas pouvoir m’être utile en fin de compte.
Elara recula sous son air amusé.
— Parole d’expert ! Tu pratiques de la magie ! Tu viens de l’utiliser pour cette potion.
Il claqua des mains comme s’il venait d’avoir une révélation.
— C’est sûrement pour ça que tu peux me voir. Ça tombe bien que je sois tombé sur toi, tu vas m’aider à terminer ma quête.
— J’ai d’autres chats à fouetter que d’aider un fantôme, chuchota-t-elle.
Il s’écarta d’elle, contrarié du manque d’enthousiasme dont elle faisait preuve. Elara s’élança pour récupérer des fioles, mais ne remarqua pas la buche au sol, se prit les pieds dedans et tomba à la renverse.
Jalina sauta du canapé, affolée par le vacarme de sa chute.
— Ela’ ça va ?
— Oui oui, ne t’inquiète pas ! Juste une petite chute.
Le fantôme s’était agenouillé et l’observait, moqueur.
— Tu sais, tu devrais être honoré. Ce n’est pas tous les jours que le magicien royal demande de l’aide à une paysanne.
— Quoi ? hurla d’un cri strident Elara, avant de plaquer ses mains sur sa bouche.
Elle se releva en même temps que le magicien. Il pencha la tête sur le côté.
— Je suis Aelius, le magicien attitré de la couronne, le plus jeune à avoir terminé l’académie de magie. Tu me connais peut-être sous le nom d’Aelius, le prodige.
Il fit une pause dans sa tirade sous les yeux médusés d’Elara.
— Et toi, continua-t-il en la pointant du doigt, tu vas m’aider à me libérer.