Chapitre 3 – Une couronne à sauver
3 décembre 2023Chapitre 5 – Malédiction
5 décembre 2023Mia tressait de ses doigts fins les rubans dorés que la mère d’Elara avait dénichés, sous les yeux brillants d’Ilyana. Elara voyait bien que celle-ci s’efforçait de contenir ses larmes par respect pour le maquillage tout juste terminé par sa sœur. Le stress d’Ilyana ne cédait pas, malgré les tentatives de la sorcière pour la rassurer. Caden et Finnigan prenaient le relais, enchainaient les pitreries et les blagues douteuses. Elara observa le visage d’Ilyana se détendre, la magie du cœur des deux garçons l’apaisait. Elle s’en voulait de ne pas avoir apporté de potions, elle aurait eu l’impression d’être utile. Elle commença à tapoter son pied sur le sol, ce qui n’échappa pas au regard de Camille, adossé au mur en face d’elle. Il se décolla et s’installa à ses côtés.
— Tu ne peux rien faire de plus, dit-il en passant la main dans ses cheveux noirs.
Elle savait qu’il avait raison. Mia tressait la couronne parfaitement et le rire d’Ilyana qui venait de retentir à ses oreilles la rassura quant à l’état nerveux de la jeune femme. Il suffisait d’un dernier détail pour terminer.
— Il nous manque les fleurs, chuchota Elara.
Camille la fixa avec ses yeux noisette. Son étonnement laissa place à de l’amusement dans son regard.
— J’en vois plein, pourtant.
Elara fronça les sourcils. Qu’entendait-il par là ? Un sourire taquin se dessina sur le visage de Camille. Il tendit la main et captura sa couronne avant de la balancer devant ses yeux écarquillés. Elara retint un hoquet de surprise.
— Pourquoi je n’y ai pas pensé !
Elle la lui reprit.
— Merci Camille ! Tu es trop fort !
Le compliment fit rosir les joues de ce dernier. Le cœur léger, Elara récupéra celles de toutes les femmes présentes dans les toilettes. Avec leur accord, elle les donna à Ilyana pour réutiliser des fleurs sur chacune d’entre elles.
— Vous êtes sur ?
— Je l’aurais bien fait pour toi, mais on n’a pas besoin d’un nouveau carnage, plaisanta Elara.
Ilyana attrapa avec douceur et enleva quelques violettes de la couronne d’Elara, des marguerites de celle de Mia, quelques camomilles et boutons de rose. Mia lui tendit la tresse enfin terminée et elle y accrocha les fleurs.
— Elle est trop belle, soupira-t-elle, émue devant son ouvrage.
— C’est comme si l’on te donnait un peu de notre courage, observa Elara.
— Et moi, j’ai gagné mon pari, lança Finnigan. J’étais sûr que l’un d’entre nous se jetterait à l’eau cette année ! Vous allez tous devoir m’inviter à manger !
— Tu gâches toujours tout ! râla Mia.
Finnigan se mit à rire et sa jovialité communicatrice se propagea au reste du groupe. Ils furent coupés par la musique qui s’élevait à l’extérieur des toilettes.
— Ça commence ! hurla Mia. Vite ! Ilyana, on y va.
La jeune femme pâlit, sembla hésiter, mais secoua la tête d’un air décidé.
— C’est parti.
Elara leva la main, ainsi que ses quatre autres amis. Ilyana tapa dans chacune d’elles sur son passage, ramassant de la sorte du courage et du soutien.
— Il était temps qu’on libère les toilettes, rigola Mia.
Ils s’excusèrent auprès de la file qui se formait à l’extérieur. Dans la salle des fêtes, les lumières étaient éteintes et seuls les milliers de bougies éclairaient la pièce. L’odeur des biscuits en fin de cuisson sortait des cuisines et chatouillait les papilles. Les premières notes de la traditionnelle danse d’ouverture résonnèrent dans la salle. Les habitants, animés par l’énergie festive, se rassemblèrent sur la piste, formant un cercle joyeux prêt à entamer la danse communautaire. Un mélange enchanteur de traditions ancestrales et de pas de valse se répandit à travers la place, tissant une toile de mouvements gracieux et de rythmes enjoués.
Alfried proposa son bras à Ilyana et l’entraina sur la piste de danse. Deux jeunes femmes blondes, en tenue de soirée verte, s’approchèrent timidement de Camille et Finnigan pour les inviter à danser. Ces deux-là rencontraient du succès, leurs carrures de bucherons aux épaules musclés et leur air débraillé faisaient chavirer les cœurs.
— Laquelle de vous deux vient avec moi ? demanda Caden en tendant sa main devant Mia et Elara.
La sorcière secoua la tête.
— Je passe mon tour.
Mia accepta de bon cœur la proposition et rejoignit les autres sur la piste de danse. Finnigan afficha une expression mécontente, qu’il eut du mal à cacher, quand il les vit arriver main dans la main. Elara soupira, Fin avait les mêmes problématiques que sa sœur, malgré son attirance pour Mia, il refusait de prendre le risque de perdre son amitié.
Elle se dirigea vers le buffet, saisit une coupe de vin pétillant et un petit biscuit à la confiture de fraise qu’elle croqua avec gourmandise quand des bras puissants l’entourèrent.
— Voilà ma petite fée préférée ! rugit Gilfried Longdoigt.
Le visage de l’homme rayonnait, un sourire plaqué sur le visage, il attrapa Elara par la taille et la fit tournoyer dans les airs.
— Gilfried ! Repose-la ! ordonna Hildegarde qui arrivait à sa suite.
Les pieds de la jeune femme retrouvèrent le sol et Gilfried lui ébouriffa les cheveux. Il récupéra la main de sa femme et l’attira à lui.
— Tu restes la plus magnifique de toutes, chuchota-t-il au creux de son oreille. Le jour où tu m’as offert ta couronne est le plus beau de ma vie.
Hildegarde pouffa de rire, gênée comme l’adolescente d’autrefois. Alors que son mari la trainait sur la piste de danse, elle fit un clin d’œil à Elara en lui murmurant un merci du bout de ses lèvres. Elara les regarda s’éloigner, son cœur tanguait entre la joie de revoir l’homme tel qu’elle le connaissait et la tristesse de savoir qu’au lendemain il aurait de nouveau disparu. Si seulement elle trouvait un moyen de lever la malédiction. Parfois, Elara se demandait si elle ne devait pas partir explorer le monde, à sa recherche. Quarante ans maintenant que la malédiction de la forêt dévorante, nommée ainsi par les anciens, sévissait. Une dizaine d’habitants avaient été frappés avant que l’on comprenne que le danger n’apparaissait que durant le mois du solstice d’hiver.
Elara plongea ses lèvres dans son verre, perdue dans ses réflexions et les bulles du liquide sucré chatouillèrent sa langue. Gilfried était le dernier survivant. Les autres, privés de toute leur joie de vivre, comme si leur cœur s’était éteint, avaient mis fin à leurs jours ou avaient disparu.
— Tu es bien pensive, ma petite fée, l’interpela la voix grave de son père.
Elara se tourna vers lui, sa présence chassa les idées noires qui l’envahissaient.
— Je me remets de mes émotions !
— Je suis content que vous ayez sauvé sa soirée, dit-il en désignant Ilyana.
— Et moi donc !
Les joues de son père étaient rougies et son haleine alcoolisée. Il venait de sa table de dégustation d’alcool ou il partageait avec ses amis ses dernières créations.
— Je vois que tu as déjà commencé les choses sérieuses, remarqua-t-elle.
— Je fais goûter mes nouveautés aux copains. Il faut bien s’amuser ! D’ailleurs, Paul m’attend, mais j’espère avoir droit à une danse avec toi après ! lui lança-t-il en s’éloignant.
La musique s’accéléra et devint plus entrainante. Elara rejoignit ses amis pour se déhancher sur la piste. Ils passèrent une bonne partie de la soirée à improviser des chorégraphies les plus ridicules les unes que les autres entrecoupées de dégustations des plats colorés qui remplissaient régulièrement le buffet.
Elara se reposait sur un tabouret, sirotant un verre de vin chaud quand Jalina vint retrouver sa sœur d’un air soucieux.
— Est-ce que tu as vu Papa ?
— La dernière fois, il buvait avec ses copains. Tu as besoin de lui ?
— T’inquiète, je vais demander à Maman, je crois qu’elle est encore en cuisine et elle sait toujours ou il se trouve.
L’orchestre s’interrompit et le chanteur appela les couples à le rejoindre sur scène. Ilyana attendait déjà devant l’estrade, sa main soudée dans celle d’Alfried. Attendrie, Elara balaya la salle et croisa les yeux songeurs de Camille, posés sur elle. Sa cavalière au bras, il la fixait intensément. Elle détourna le regard, gênée. Elle avait conscience des sentiments qu’il portait à son égard. Ils étaient sortis ensemble pendant leur adolescence, mais la jeune femme n’éprouvait rien de plus que de l’amitié et une profonde affection pour lui.
Elara soupira, elle connaissait tout le monde ici et n’avait jamais ressenti les frissons de l’amour en compagnie des hommes du village. Peut-être donnerait-elle raison à Doc ? Elle passerait sa vie seule, entourée de ses plantes et de ses potion.
Les habitants commençaient à se rassembler devant la scène et les discussions enjouées éclataient autour d’elle. Elara retrouva Mia parmi eux et s’installa à ses côtés. Le maire s’avança pour le traditionnel discours qui précédait la cérémonie. Son crâne dégarni luisait telle une boule en verre lustrée.
— Hum, hum, un peu de silence s’il vous plait, demanda-t-il de sa voix aiguë.
Elara s’amusait toujours du contraste entre sa carrure de nounours et son timbre fluet.
Il lui fallut réitérer sa demande plusieurs fois avant qu’on ne l’entende clairement.
— Cette année encore j’ai l’honneur de présider…
La porte de la salle s’ouvrit avec un grand fracas. Paul, un des bucherons du village, se précipita à l’intérieur, ses joues rougies et le souffle coupé.
— Charles… Charles et Joseph sont allés dans la forêt, ils ne reviennent pas.
Le cœur d’Elara rata un battement et elle sentit son sang se glacer. Un silence angoissant se répandit, aucun des habitants n’osant prendre la parole. Elara vit sa mère s’avancer, le teint blême et la voix tremblotante.
— Qu’est-ce que tu dis ?
Le visage du bucheron se défit quand elle le confronta. Aucune explication ne suffirait, mais l’alcool et le désespoir parlèrent pour lui.
— Paula, je suis désolé, on n’avait plus de bois, on avait un peu bu, on n’a pas réfléchi.
Ce n’est que quand sa mère s’effondra au sol qu’Elara retrouva la raison. Elle se précipita auprès d’elle en même temps que Doc. Lorsqu’Elara le regarda, les larmes aux yeux, il lui attrapa la main.
— Je m’occupe d’elle, dit-il, pars à la recherche de ton père, faites du bruit aux abords de la forêt, mais n’y entre pas !
— Je reste aussi ! Va retrouver Papa ! supplia Jalina.
Sa sœur s’était accroupie à ses côtés pour s’occuper de sa mère.
Elara se pinça les lèvres pour retenir ses sanglots. Il irait bien, elle allait le retrouver. Elle se précipita à l’extérieur, suivi par le reste du village.