Chapitre 2 – La ferme Familiale
2 décembre 2023Chapitre 4 – La fête des fleurs séchées
4 décembre 2023À son réveil, ses parents étaient déjà partis. Elle trouva sa sœur, assise sur un fauteuil en rotin, une tasse de café fumante entre les mains. Les yeux fatigués, elle somnolait encore. Elara s’approcha d’elle avec douceur et lui caressa l’épaule.
— Le réveil est difficile ?
— J’ai bien dormi, mais je me suis levée beaucoup trop tôt, répondit Jalina dans un bâillement.
Elara s’installa sur le canapé en face et s’enroula dans un plaid. Le feu qui crépitait dans la cheminée lui insuffla un peu de chaleur.
— Quelque chose te tracasse ?
Sa sœur resserra ses doigts autour de sa tasse.
— C’est la première année ou je peux donner ma couronne, soupira-t-elle. Tu n’étais pas stressée, toi ?
— Pas vraiment, réfléchit Elara. Personne ne s’attend à ce que tu l’offres la première fois.
Jalina se pinça les lèvres et se mua dans le silence. Elara se demanda bien ce qui tracassait sa sœur d’habitude si confiante.
— Je suis là, si tu souhaites m’en parler. Penses-tu donner ta couronne cette année ?
— Non, mais je crois que je suis amoureuse.
— C’est vrai ?
Les yeux d’Elara pétillèrent.
— Est-ce que je la connais ?
— Oui, mais elle ne le sait pas. J’ai peur d’être rejetée et de perdre son amitié. C’est la même chose pour Camille et toi ?
— Je n’ai jamais rien ressenti d’autre que de la tendresse pour Camille, s’amusa Elara. Tu devrais essayer d’en discuter avec l’élue de ton cœur, à la façon dont tes yeux s’illuminent, elle doit vraiment compter pour toi.
Les épaules de Jalina se relâchèrent et son visage retrouva son air malicieux habituel avant de lancer un autre sujet.
— Tu sais que tu es coincée avec moi jusqu’à ce qu’on parte ? Je vais pouvoir arranger tes cheveux cette année !
— Tiens, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas servi de poupée.
— Justement, je compte bien en profiter.
Avant de laisser sa crinière rousse comme le feuillage des arbres en automne entre les mains de sa sœur, Elara s’acquitta de quelques tâches domestiques. Ses parents participaient à la préparation de la fête et ils ne reviendraient pas à la ferme avant le lendemain. Elle ramassait les pioches crottées et les outils usés qui trainaient dans la cour, plongée dans ses souvenirs. D’autant qu’elle se le rappelait, elle jardinait avec son père depuis sa tendre enfance. Ils passaient des journées entières, les mains enfoncées dans la terre, à arracher les carottes où à semer des graines de coquelicot. Elle avait hérité de son amour pour la nature et les plantes.
Elara profita de cette journée de repos pour flâner, décompresser et se ressourcer. Elle secouait une brindille pour amuser un chat errant blanc comme la neige quand la voix de sa sœur rompit sa concentration.
— Tu as fini de rêvasser ? hurla Jalina depuis l’étage.
Elle regarda la tête qui dépassait de la fenêtre de sa chambre. Sa sœur brulait d’impatience de commencer à se préparer. Avec un sourire résigné, elle laissa le chat attraper la brindille, le regarda s’enfuir et rejoignit sa sœur.
***************
— Tu es belle !
Elara s’amusa de l’air extasié de sa petite sœur, mais après un coup d’œil dans le miroir, elle avoua se trouver plus jolie que d’habitude.
Ses cheveux indomptables étaient tressés sur la moitié de sa tête et l’autre moitié de sa crinière tombait en cascade sur ses épaules. Les cosmétiques artisanaux fabriqués par Jalina mettaient son teint en valeur. La poudre pailletée sur ses yeux accentuait l’intensité de son regard vert. Il ne lui manquait plus qu’un châle en laine pour compléter sa tenue et ne pas se transformer en glaçon le temps du trajet.
Sa sœur tournoyait au milieu de la pièce et s’amusait de voir sa robe s’envoler. Si elle se trouvait jolie, Jalina, elle, était éblouissante. Elle avait cousu des jupons multicolores en plusieurs couches et elle éclairait la chambre comme un arc-en-ciel après l’orage. Ses longs cheveux blonds et soyeux glissaient jusqu’au creux de ses hanches. Du haut de ses dix-huit ans, elle n’enviait plus rien aux autres femmes.
Avec émotion, Elara constata que Jalina avait définitivement quitté l’adolescence. Elle fronça les sourcils en se rendant compte qu’elle volerait bientôt de ses propres ailes.
— Où est donc passée ma petite sœur ? soupira Elara. Celle qui volait mes robes pour fabriquer des cabanes ?
Avec un sourire malicieux, Jalina s’arrêta de virevolter et salua gracieusement sa sœur.
— Tu es magnifique, s’amusa Elara.
Ravie, Jalina lui attrapa le bras.
— On y va maintenant ! C’est l’heure ! lança-t-elle sans contenir son excitation.
Le soleil se couchait sur la vallée, d’autres habitants endimanchés se pressaient sur le chemin menant à la grande place. La lumière des bougies éclairait leur passage et l’odeur du chocolat chaud de bienvenue arriva à leurs narines. Un frisson parcourut Elara qui se colla contre sa sœur, mais elle se rassura vite à la vue des braseros qui réchauffaient l’air. L’entrée de la salle des fêtes se trouvait sur la grande place où des centaines de lampions dorés étaient suspendus dans le ciel à l’aide de guirlandes colorées. Des ornements en bois, en forme de rennes et de renards, accrochés aux branches des sapins, complétaient l’ambiance festive. À leur arrivée, le comité d’accueil leur distribua une boisson chaude à la cannelle dans les mains. Elara remarqua son groupe d’amis en pleine discussion animée.
Caden, Mia, Finnigan et Camille, respectaient à la lettre le thème choisi pour cette année. Leurs vêtements se déclinaient dans toutes les teintes possibles de bleu. Grâce à ses parents, Elara se fonderait parmi eux sans problème. Elle entendit la voix de Caden, plus forte que les autres, qui semblait persuadé que cette année encore, aucun d’entre eux ne donnerait ou ne recevrait de couronnes. Il se trompait. Ils la repérèrent au milieu de la foule qui commençait à s’amasser devant l’entrée de la salle et lui firent signe de les rejoindre. Elle se tourna pour prévenir Jalina, mais celle-ci conversait déjà avec une jeune femme aux cheveux noirs dont elle semblait proche.
— Ela ! Tu es magique cette année, déclara Finnigan.
— Comment ça, cette année ? s’offusqua Elara.
— Regarde ! Ce pauvre Camille en a perdu tous ces moyens.
Les joues de l’intéressé devinrent aussi rouges que des pivoines et son regard évita celui d’Elara.
— Arrête de l’embêter Finnigan, râla Mia, je ne te louperai pas quand tu tomberas amoureux.
Le sourire du jeune homme s’évanouit et laissa place à un visage sérieux.
— Qui te dit que je ne le suis pas ?
— Quelqu’un a vu Ilyana ? s’inquiéta Elara qui venait de remarquer son absence.
— Elle est allée aux toilettes, répondit Mia d’un air soucieux. Mais maintenant que tu en parles, ça fait longtemps qu’elle s’y trouve. Elle était tellement stressée !
Caden, muet depuis l’arrivée d’Elara, fronça les sourcils et caressa son menton.
— Toi ! Tu sais quelque chose, dit-il à l’intention de celle-ci.
— Hein ?
— Ne fais pas l’innocente ! J’ai vu ton nez se tortiller, tu fais toujours ça quand tu es mal à l’aise.
Ses amis se rapprochaient d’elle avec un air inquisiteur et elle paniqua. Elle ne voulait pas trahir le secret d’Ilyana, mais elle ne résisterait pas à un interrogatoire de ses amis. Ils la connaissaient trop bien. Elle repéra Doc, au milieu de la foule, qui contenait bien mal son agacement devant les mondanités.
— Doc ! hurla-t-elle.
L’intéressé la rallia rapidement, ravi d’échapper à l’éternelle recette de tourte au potiron que la mère de Finnigan distribuait chaque année.
— Elara, tu m’as sauvé ! Depuis le temps, je sais bien qu’il faut six œufs dans cette foutue tarte !
— Elle espère que vous finirez par lui en préparer une, plaisanta Mia.
— Elle n’aurait pas le béguin pour vous Doc ? continua Caden. Vous recevrez peut-être une couronne cette année.
— Et avoir ce vieux ronchon comme beau-père ? rigola Finnigan. Merci bien !
Maintenant que l’intérêt de ses amis portait sur le médecin, Elara se faufila pour prendre la poudre d’escampette.
— Elara ! Où tu vas ? s’époumona Mia.
— Retrouver Ilyana ! On se rejoint à l’intérieur.
Si Ilyana n’avait rien dit à ses amis, Elara ne gâcherait pas la surprise. Elle entra à l’intérieur de la salle, prise d’un mauvais pressentiment. Elle s’élançait en direction des toilettes quand elle s’arrêta, éblouie par la décoration. La vaisselle argentée était posée sur des nappes flamboyantes. Des bougies parfumées libéraient des parfums d’oranges et d’épices. Sur la scène, le groupe de musique du village, composé d’habitants de tout âge, réglait leurs instruments dans la bonne humeur. Leurs rires résonnaient dans la pièce quasi vide. Ses parents perfectionnaient la décoration, se lançaient des paillettes et disposaient les dernières chandelles sur les tables. Elara observa avec tendresse ce couple dont la complicité se renforçait au fil des années. Son père l’aperçut en premier et lui adressa un clin d’œil en levant les pouces l’air.
— Vous êtes prêts ? leur demanda Elara.
— On a encore quelques décorations à mettre en place et la fête pourra commencer, lança-t-il joyeusement.
— Je vais chercher Ilyana et on vous aidera à finir.
— Non, profitez plutôt de la soirée. On a quasiment terminé. Tu as vu ta sœur ?
— Elle est dehors avec ses amis.
Sa mère secoua la tête d’un air entendu, Elara vit passer un éclair d’inquiétude dans ses yeux.
— Qu’est-ce que tu fais encore là ? Va secourir Ilyana, plus d’une heure qu’elle est enfermée dans les toilettes et refuse d’en sortir. J’ai essayé de lui parler, mais elle m’interdit d’ouvrir. Tu sais ce qui ne va pas ?
Elara fronça les sourcils. Pourquoi son amie restait-elle enfermée dans les toilettes ? Elle croisa des amis à son père qui sortaient des sanitaires pour hommes. Leurs joues rosies et leur bonhomie indiquèrent à la jeune femme qu’ils avaient surement déjà consommé des breuvages alcoolisés.
— Je ne pensais pas qu’il ferait aussi froid, grimaça le premier.
— J’ai peur qu’on manque de bois au cours de la soirée, continua l’autre.
— On se réchauffera autrement.
Les rires gras des deux gaillards résonnaient dans le couloir. Elara secoua la tête, ceux-là seraient les premiers devant sa hutte le lendemain pour demander un remède contre la gueule de bois. Chaque année, ils répétaient inlassablement les mêmes erreurs. Dans les toilettes pour femmes, l’unique porte fermée indiqua à Elara la position de son amie.
— Ilyana ? souffla-t-elle en toquant doucement. Je sais que tu es là, ouvre-moi.
Elle insista plusieurs fois avant de voir apparaitre les traits tirés de son amie. Son maquillage coulait le long de ses joues, sa coiffure défaite ressemblait à un nid d’oiseau. Elle se précipita en sanglotant dans les bras d’Elara.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? demanda la sorcière.
Les pleurs d’Ilyana redoublèrent. Elara attendit, la cajolant, que ses larmes se tarissent. Elle lui attrape le visage entre les mains. Que se passait-il pour qu’elle soit dans cet état ? Elle ne l’avait jamais vu ainsi et sa tristesse serrait le cœur d’Elara. Pourvu que ça ne soit rien de grave.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Explique-moi !
Ilyana renifla, les yeux rougis par la tristesse. Tremblotante, elle sortit de son sac sa couronne. Quelques fleurs tenaient encore sur les rubans dorés détrempés. Elara écarquilla les yeux devant le carnage, mais le poids sur son cœur céda. C’était catastrophique, mais ce n’était que matériel. Rien qui ne puisse être réparé.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Je l’ai fait tomber dans les toilettes, répondit Ilyana, dont les sanglots reprirent de plus belle. C’était censé être un jour magique, j’ai tout gâché.
Elara retroussa son nez.
— Il nous faut une intervention d’urgence, je cherche les autres.
Elle serra les mains de la jeune femme qui semblait sur le point de s’évanouir.
— Rien n’est perdu ! On peut encore en fabriquer une nouvelle. Reste là, je reviens !
Elara se précipita dans la salle. Elle missionna sa mère pour récupérer des rubans. À l’extérieur, elle trouva Jalina qu’elle attrapa par le bras. Sa sœur pourrait aider Ilyana, car elle conservait toujours sur elle une trousse de secours avec du maquillage. Enfin, elle se planta devant son groupe d’amis.
— On a une urgence.
— Tu nous expliques ? quémanda Finnigan.
— En chemin ! Suivez-moi !
L’air grave d’Elara les poussa à la suivre sans questions. Elle les emmena dans les toilettes des filles en effectuant un bref résumé de la situation. Ilyana les attendait, adossée contre un mur, sa couronne entre les mains. Elle s’effondra à la vue de ses amis.
— Et Alfried qui doit déjà patienter… termina-t-elle, dans un sanglot.
— Tu nous as fait une Elara-ite, plaisanta Caden.
Il tira un sourire du visage défait d’Ilyana, mais récolta aussi un coup de pied dans le tibia de la part sorcière.
Les six se regardèrent d’un air entendu. Ils avaient vécu des situations pires que celle-là.
Comme une mécanique bien huilée, ils prirent les choses en main. La nouvelle couronne serait dépareillée et atypique, mais unique et fabriquée avec les liens indéfectibles de leur amitié.