Chapitre 1 – Bienvenue à Aubelumière
1 décembre 2023Chapitre 3 – Une couronne à sauver
3 décembre 2023La ferme des Longdoigt se trouvait à quelques mètres de la demeure familiale d’Elara.
Elara connaissait bien la famille. Hildegarde, n’ayant jamais pu enfanter, gâtait les deux sœurs comme si c’était les siennes. Sa mère n’y trouvait rien à redire, les deux femmes étant amies depuis toujours.
L’habitation des Longdoigt était accolée à leur exploitation où vivaient des vaches, des poules et quelques moutons en liberté. Plus elle s’approchait de la ferme, plus les effluves qui s’échappaient de la cuisine chatouillaient les narines d’Elara. Elle fut accueillie par Snow, le gros chien pataud, au ventre proéminent. Il se roula sur le dos, réclamant des caresses à la jeune femme. La voix d’Hildegarde Longdoigt interpella la nouvelle venue.
— Elara ! On ne t’attendait pas aujourd’hui.
— Bonjour, Hildegarde, je vais terminer ma couronne chez les parents cet après-midi, je me suis dit que j’allais en profiter pour venir vous voir.
La fermière sortit de la grange, son tablier usé par le temps, accroché à la taille. Elle essuya rapidement ses mains pleines de foin, écarta du pied les poules qui lui courraient autour et enlaça la petite sorcière.
— Tu restes manger avec nous ?
Elara savait par expérience qu’elle ne pourrait pas refuser.
— Qu’ as-tu préparé de bon ?
— Un ragoût avec les pommes de terre du jardin. La récolte a été fructueuse cette année.
Hildegarde hésita puis continua sa phrase.
— J’ai encore du linge à rentrer, tu peux m’aider ?
— Avec plaisir, tu aurais dû commencer par ça !
— La dernière fois que je t’ai demandé un coup de main, la moitié de ma récolte de lait s’est volatilisée !
Les joues d’Elara rosirent à la mention de ce qu’elle avait appelé “le carnage laitier”. Elle s’était emmêlée les pieds dans une des cocottes, avait chuté et s’était retrouvée pleine de boue….et de lait. Elle s’était confondue en excuses auprès d’Hildegarde mais amusée par l’état d’Elara, elle n’avait cessé de rire qu’au bout d’une heure.
— Ça ira pour décrocher des vêtements, bougonna Elara.
— Ne râle pas !
Une expression réjouie sur le visage, Hildegarde prit la direction du jardin. Le séchoir fixé à même le sol trônait au milieu des arbres fruitiers. L’odeur du linge fraichement lavé embaumait et Elara s’affaira à plier un maillot .
— Comment va-t-il en ce moment ? demanda-t-elle, prudemment.
Hildegarde se rembrunit à l’évocation de son mari.
— C’est difficile.
— Vous n’avez plus de potion ?
— J’ai utilisé la dernière pour notre anniversaire de mariage.
Elara rangea le vêtement dans la panière et s’empressa de fouiller ses poches. Elle en sortit une petite fiole au liquide argenté.
— C’est tout ce qu’il me reste, dit-elle d’un air contrit. Je n’ai pas trouvé de fleur ce matin et je ne pourrai pas retourner en forêt avant le mois prochain.
Les lèvres de la fermière se mirent à trembler. Le cœur brisé, Elara poursuivit.
— Je me suis dit que tu aimerais l’utiliser pour la fête de demain soir.
Une larme coula sur la joue d’Hildegarde et avec pudeur elle attrapa du bout des doigts son cadeau. Toutes deux continuèrent leur travail en silence. Quand l’entièreté du séchoir fut vidé et les chagrins envolés, Hildegarde indiqua la direction de la maison à Elara.
— Chaque effort mérite une récompense ! Allons remplir ton ventre.
Elle glissa son bras sous celui de la jeune femme.
— Tu sais, même si c’est une autre personne depuis qu’il a été touché par la malédiction, je suis contente qu’il soit encore parmi nous.
Sa tête se pencha pour chuchoter à l’oreille d’Elara.
— Pas comme ce pauvre Rudolf…vingt ans qu’on est sans nouvelle de sa femme.
Le calme régnait à l’intérieur de la maison rangée avec minutie. Sur la table de la cuisine, deux assiettes en faïence aux couleurs festives attendaient.
— Gilfried ! On a une invitée pour midi, notre petite fée est là.
Un crissement de chaise, des pas lourds à l’étage, quelques minutes et Gilfried apparu devant Elara.
— Elara, la salua-t-il avec un air sérieux.
Sans attendre de réponse, il s’installa et se versa un verre de vin.
— On mange quoi ?
— J’ai préparé du ragout, je sais que c’est ton plat préféré ! proclama Hildegarde.
Surveillant l’échange du coin de l’œil, Elara attrapa une assiette et s’assit à côté de Gilfred. La fermière servit le repas encore fumant et à peine la première bouchée avalée, son mari claqua sa fourchette sur la table.
— C’est dégoutant.
— Je trouve ça très bon, répliqua Elara.
D’un air dédaigneux, Gilfried se leva brusquement de sa chaise.
— Tu pourras finir mon assiette si tu aimes tellement ça.
Il tourna les talons et remonta à l’étage. Hildegarde soupira.
— Aujourd’hui n’est pas un bon jour.
— Est-ce qu’il y a vraiment de bon jour ? questionna Elara.
— Ceux où je lui donne ta potion.
La voix d’Hildegarde, chevrotante, s’étouffa dans un sanglot.
— Si seulement l’effet perdurait plus de vingt-quatre heures. Oh ! Elara, sa bonne humeur, son bon cœur et son amour me manquent tellement.
— Je suis désolée, Hildegarde.
— Ne t’excuse pas, renifla la fermière, c’est grâce à toi et aux villageois que je tiens le coup. Vous m’aidez tellement.
Le repas se termina en douceur, Elara essaya de changer les idées d’Hildegarde avec des discussions enjouées. Elle ne fut autorisée à partir qu’une fois les bras chargés de victuailles. Heureusement, elle n’allait pas bien loin. Après de longues embrassades, elle s’élança sur le chemin paysan où des herbes folles jaillissaient entre les pavés. .
À quelques mètres de là se trouvaient les pâturages de ses parents. La demeure aux briques rouges des agriculteurs attirait le regard au milieu des plantations. Son père apparu rapidement dans son champ de vision, travaillant la terre à l’aide d’une pioche. Dès qu’il vit sa fille, il se précipita pour lui soulager les bras.
— Ce n’est pas trop tôt, ma petite fée ! J’ai dû cacher des fleurs, ta mère et ta sœur utilisaient tout.
— Ça n’ est pas bien grave, rigola Elara.
Son père la dévisagea avec sérieux.
— Vas-tu encore éconduire ce pauvre Camille ? Il va falloir réparer son cœur, une fois de plus.
— Après tout, il devrait abandonner après cinq tentatives infructueuses, cria sa mère à l’autre bout de la cour.
La grande table du salon, placée pour l’occasion à l’extérieur, était envahie de bricolages. Couvertures en laine sur les genoux, sa mère et sa sœur tressaient des fils colorés en y insérant des fleurs séchées multicolores.
Jalina semblait particulièrement concentrée sur le bouton d’or qui glissait de ses doigts à chaque essai. Elara s’installa en face d’elle.
— Tu es bien concentrée.
— Ne change pas de conversation, c’est de toi qu’on parlait, répliqua sa sœur.
Du haut de ses dix huit ans, elle montrait plus d’assurance et de caractère que son ainée. Elara leva les épaules et soupira.
— Je n’y peux rien si je ne ressens rien pour lui.
Son père qui revenait après avoir rangé les repas préparés par Hildegarde lui tapota la tête avec douceur.
— T’en fais pas ma petite fée, le plus important c’est ton bonheur. Si un jour tu rencontres quelqu’un qui fait battre ton cœur, on l’accueillera comme il se doit.
La boîte en métal où elle conservait sa couronne était posée à côté de sa mère. Cette dernière la saisie et la tendit à Elara avec un clin d’œil.
— De toute façon, tu as encore beaucoup de travail.
Elara hocha la tête. Elle avait choisi des rubans bleus et ramassé des violettes tout l’été pour cette année.
— Est-ce que tu vas nous dire pourquoi ton cœur semble si lourd ? questionna sa mère.
Elara soupira, sa mère sentait toujours quand elle était préoccupée.
— Elle était chez Hildegarde, répondit son père.
— Oh, ma chérie, tu culpabilises après chacune de tes visites.
— J’aimerais tellement faire plus ! Si seulement on pouvait mettre fin à cette malédiction, déclama-t-elle.
Sa mère posa son ouvrage et attrapa ses mains avec tendresse. La boule qui pesait sur le cœur d’Elara s’allégea. Tous les habitants d’Aubelumière possédaient cette faculté d’adoucir les cœurs peinés , d’utiliser les bons mots pour apaiser les âmes.
La soirée était bien entamée lorsque les couronnes des trois femmes furent terminées. Le père d’Elara avait concocter sa fameuse soupe aux courges dont toute la famille raffolait. Des tranches de pain de campagne finissaient de gratiner au four. L’odeur familière de ce repas réconforta Elara. Entre rires et anecdotes, la soirée se déroula sans encombre et la nuit s’installa. Ayant abusé du breuvage alcoolisé que son père fabriquait dans leur cave, Elara décida de passer la nuit dans son ancienne chambre. Son vieux lit l’attendait et la pièce embaumait la vanille. Elle suspectait sa mère de faire bruler des bougies en cachette pour faire perdurer l’odeur.
Sur son bureau, elle découvrit une boîte emballée dans un papier orangé ainsi que son nom sur une étiquette. Curieuse, elle l’ouvrit et en sortit une robe bleue en tissu épais de la teinte identique à sa couronne.
— Elle te plait ? demanda sa mère dans l’encadrement de la pièce.
— Maman ? C’est toi qui l’as fait ?
— Ton père et moi. Je crois que même lui montre plus de talent à la couture que toi.
— Il ne fallait pas, s’indigna la sorcière, j’allais réutiliser ma vieille robe, ça aurait suffit !
— Le vieux chiffon que tu utilises depuis dix ans ? lança une voix d’homme à l’autre bout du couloir.
— Si on veut que tu offres ta couronne un jour, on ne peut pas te laisser toujours porter les mêmes vêtements, continua sa sœur en rentrant dans la chambre.
Elara empoigna un des oreillers sur son lit et le balança sur sa sœur qui l’attrapa les yeux remplis de malice.
— Bataille générale ! hurla-t-elle en se précipitant en direction d’Elara cachée derrière un édredon.
— On a appelé le chevalier aux oreillers ? rugit son père, armé de deux coussins.
— La pirate des polochons ? déclama sa mère.
Ce soir-là, des plumes s’envolèrent en même temps que les éclats de rire. Aucun gagnant ne fut désigné à la fin du combat acharné, mais tous tombèrent dans un sommeil profond. Si certains rêvaient de couronnes de fleurs et d’amour éternel, Elara, elle, rêva d’une sphère lumineuse s’enfonçant dans la forêt, slalomant entre les arbres.